samedi 7 juillet 2007

Un peu court, jeune homme...

Vifs échanges entre, notamment, le criminologue Raufer et Knobelspiess, ancien détenu (26 ans dans les prisons françaises, notamment pour hold up) dans le Ce soir ou jamais du mardi 20 juin 2007. Deux visions s'opposent, qui dépassent les seules lois Dati promises par le Président Sarkozy. D'un côté, Knobelspiess appartient à l'alternative gauchiste. De l'autre, Raufer est venu défendre le bien-fondé des lois Dati. Qui est Raufer? Selon la présentation de l'émission, "Xavier Raufer est enseignant à l’université de Paris II et à l’institut de criminologie de Paris. Ce criminologue s’intéresse depuis 1975 au terrorisme, à l’insécurité urbaine et au crime organisé. De son vrai nom Christian de Bongain, il a été militant d’extrême droite et membre d’Occident dans sa jeunesse, avant de revenir plus au centre de l’échiquier politique. Ses travaux et ouvrages se fondent sur des études de cas". Selon Wikipédia, "il fut épinglé par de nombreux chercheurs, voyant dans ses méthodes une contradiction avec les principes scientifiques. En effet, les sciences sociales devraient, selon le corps scientifique, permettre une vision la plus généralisable possible. Ses travaux se serviraient trop d'exemples particuliers (et non-généralisables), tendent à donner une vision catastrophiste de la réalité des ZUP". Wikipédia nous apprend que Raufer s'est dirigé vers la droite démocratique en participant au réseau Albertini. Quel est le dessein de ce recentrement politique? Qui est Albertini? Toujours selon Wikipédia, Albertini "se reconvertit à la propagande anticommuniste pendant la guerre froide et devient un conseiller influent sous la IVe et Ve République. Dans sa croisade contre le communisme, il fut servi par le mélange de peur et d'aveuglement qui régnait pendant la guerre froide, peur de la menace soviétique, d'un côté, aveuglement de ceux qui refusaient de voir les errements du système stalinien, de l'autre. Avec le soutien, financier notamment, des réseaux de la droite, et grâce à la réceptivité qu'il trouvait auprès des diverses sensibilités anticommunistes, il parvint à tisser sa toile. Sa technique policière de documentation, sa propension à démasquer le dessous des choses ou à dénoncer l'ennemi intérieur (par exemple, le Monde présenté, dans les années 50, comme un agent du Kremlin !) convenaient au climat de l'époque. Il devient également un conseiller très écouté de Georges Pompidou alors ministre sous De Gaulle et, lorsque Pompidou sera élu président de la république, Albertini conserve encore un grande influence sur ses deux conseillers, Marie-France Garaud et Pierre Juillet. Il collabore également avec ces derniers lorsqu'ils sont dans l'entourage de Jacques Chirac. Le monde politique sollicite ses conseils, jusqu'en 1981. Les grands patrons subventionnent ses activités. Il participe à l'Institut d'histoire sociale dont il est le trésorier. Il fut également l'un des mentors du jeune Alain Madelin." Madelin, tiens, tiens... Durant l'émission, Raufer fait preuve d'une morgue cassante à l'encontre de Knobelspiess. C'est ainsi qu'il rappellera qu'"être atteint de syphilis ne rend pas vénérologue". Plus grave, il n'hésitera pas à lancer à l'adresse de l'ancien détenu, il est vrai passablement confus et agressif lui aussi : "Le fait d'être un pitre..."; ou encore, à l'adresse de Taddeï : "Il peut arrêter de dire n'importe quoi?" Il est toujours gênant de constater le déchaînement du mépris, même quand il est justifié. Dans le cas de Raufer, sa condescendance s'expliquerait par le fait qu'il oppose des arguments fondés sur les faits et le réel à des fantasmes de romantique attardé et de démagogue inquiétant. Très sentencieux et professoral, Raufer rappelle ainsi que 6 à 7 % des gens condamnés sont concernés par la loi Dati, quelques milliers de cas à peine (agressions violentes, viols ou crimes). Entre 2000 et 2005, les cas de récidive grave ont augmenté de 145%. Les lois sont faites pour punir des fauves. S'ils ne veulent pas retourner en prison, ils n'ont qu'à ne pas recommencer. Comment Raufer passe-t-il des statistiques au jugement, puisqu'il faut bien que tout fait soit interprété dans le sens d'une conception générale de l'existence et du réel? C'est le noeud du problème. Car s'il est certain qu'être prisonnier ne rend pas pertinent sur les prisons, il est tout aussi certain qu'être criminologue ne rend pas philosophe. Qu'on écoute les présupposés que délivre le jugement de Raufer : "Quand les modèles de voitures changent, les outils changent." Avec Raufer, la vie est simple, à défaut d'être belle : la criminalité a changé - les lois doivent s'adapter. Et notre spécialiste de poursuivre dans son énumération scientifique (de nos jours, la science est un mime de vérité et la caution de toutes les idéologies un peu raides) : dans le cas de la récidive et des agressions graves, le basculement intervient entre 16 et 18 ans. Sur 100 actes criminels, la moitié sont commis par les mêmes minorités des mêmes endroits, des cités : 50 actes criminels sur 100 concernent 20 millions d'habitants sur les 60 que compte la population française. Les lois Dati sont par conséquent adaptées au réel et aux mutations de la société. Il s'agit bel et bien de prévention et de dissuasion. Là dessus, Knobelspiess, qui s'exprime mal, mais n'est certainement pas un imbécile, lance qu'il faut plus de justice économique pour que la justice sociale suive. Réponse immédiate et cinglante de Raufer, dont le complexe de supériorité est manifeste : "C'est absurde" (Jean Valjean expédié au bagne pour un pain, c'est grotesque). Il faut croire que le blason de l'universitaire, de l'expert et du scientifique laisse transparaître malgré tout quelques failles dans la carapace inexpugnable. C'est Chabrol qui s'y engouffre. Chabrol parle mieux que Knobelspiess. Surtout, il n'a pas envie de s'attirer les foudres de Raufer. Il souhaite juste mettre en lumière le raisonnement de Raufer. Chabrol a beau jeu de rappeler que le sens des lois ressortit d'une vision qui dépasse le simple cadre du juridique. Que fait-on d'un tigre humain dans la société humaine (ou d'un fauve, sans jouer sur les mots)? Réponse de Raufer : les nombreuses pratiques dans la réinsertion échouent parfois (hélas). Il faut régler l'échec des gens qui sont intraitables. L'être humain n'est pas un robot. Malheureusement. Je crains fort, bien que j'en aie l'intuition seule, que cette vision sous-tende le raisonnement des proches de Sarkozy. Cette manière de concevoir le réel nous vient notamment des USA (voir Giuliani à New York) et repose sur le postulat selon lequel les faits sont éternels et sont dénués de causes et de conséquences. Admirable raisonnement! La nature humaine est éternelle. Le nombre d'individus dangereux est potentiellement identique et doit être traité avec sévérité, seul moyen de libérer la société de ce fardeau étouffant et anxiogène. C'est un peu court : il faudrait savoir! Si la criminalité a évolué, c'est que la passe-partout nature humaine évolue elle aussi et s'adapte à son environnement. Raufer se révèle bien trop clair pour ne pas être simpliste. Il feint trop de croire que les faits ne cachent pas une vision de l'homme et du monde. Dans son cas, cette vision qui revient à la mode est une vision dure, très proche des néoconservateurs, selon laquelle la force seule triomphe de la violence. Désolé de le répéter, c'est une vision totalitaire qui s'exprime ici avec brio et science. Le savoir ne suffit pas. En voici encore une illustration. Il arrive même (souvent) qu'il occulte la faiblesse de la réflexion. En l'occurrence, il faudrait se demander pourquoi, dans nos sociétés qui sont si civilisées, la criminalité la plus violente, quasi gratuite, augmente aussi fortement, pourquoi la loi est contrainte de s'adapter à la hausse de la violence chez les mineurs. Peut-être serait-il temps de visionner Orange mécanique plutôt que de subir les dictats d'un criminologue sous pseudonyme comme d'autres avancent masqués? Je me demande si ces interrogations ne restent pas en jachère chez Raufer du fait de son parcours et de sa manière de penser. Etrange tout de même, cette appartenance passée à Occident, à l'extrême-droite nationaliste, anticommuniste, néofasciste, antilibérale (où l'on constate qu'il n'est pas du tout certain que l'ultralibéralisme soit la perpétuation cohérente du libéralisme), comme Madelin certes (ministre, député UDF, président de Démocratie libérale, puis député UMP), mais aussi comme Patrick Devedjian (maire d'Antony, député des Hauts-de-Seine et secrétaire général délégué de l'UMP), Gérard Longuet (ministre de l'Industrie et ancien président du Conseil régional de Lorraine). Deux éminents conseillers de Sarkozy issus d'Occident! Liste exhaustive? Accident de l'histoire? Qu'on en juge par cette liste sortie de Wikipédia : William Abitbol (futur conseiller de Charles Pasqua); Alain Baudry (éditeur universitaire); Jacques Bompard (ancien maire FN et actuel maire MPF d'Orange); Thierry Boutet (futur éditorialiste de l'hebdomadaire Famille chrétienne); Frédéric Brigaud, sculpteur, auteur de la plupart des affiches d'Occident; Dominique Chaboche (futur secrétaire général du FN); François Duprat; Pierre-Philippe Pasqua (fils de Charles Pasqua); Patrice Gélinet (futur directeur de France Culture); Jean-Jacques Guillet (futur député des Hauts-de-Seine); Claude Goasguen (futur député de Paris et l'un des porte-parole de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy); Hervé Novelli (futur député d'Indre-et-Loire); Gerald Penciolelli (futur directeur de Minute); Michel de Rostolan (futur dirigeant du CNI et député apparenté FN de l'Essonne); Dominique Venner (futur historien et directeur du bimensuel la Nouvelle Revue d'Histoire). Le moins qu'on puisse constater est que, sur les 1500 adhérents que comptait Occident en 1968 (selon Wikipédia), le nombre de ceux qui ont trouvé à se convertir à des postes prestigieux est impressionnant, sans que la liste soit exhaustive (je retrouve ainsi une citation de Didier Schuller : «Je suis entré à la Corpo de droit à Assas en 1964. J’étais un militant d’occasion qui fait le coup de poing. J’étais très Algérie française, mais si je ne suis pas allé à Occident, c’est que je ne voulais pas être le “juif” de ce mouvement. Je suis vite revenu vers des choses plus raisonnables, et en 1972, je suis entré dans les cabinets ministériels.»). Il est plus impressionnant encore d'observer que les brillants cadres d'Occident ont fourni une part non négligeable des conseillers de Sarkozy et des inspirateurs de sa politique (que j'estime ultralibérale). Curieux, dans la foulée, que tant d'anciens militants d'Occident se soient identifiés à l'ultralibéralisme et aux néoconservateurs... Le cas de Madelin est à cet égard le plus emblématique, mais nullement l'exception qui confirme la règle. Dans tous les cas, la violence prétend résoudre l'imperfection du monde. Que des idéologues comme Raufer (dont l'idéologie est prégnante dans l'exacte mesure où elle s'enorgueillit des atours du savoir et de l'objectivité) ressurgissent dans les grands médias ne répond nullement aux caprices du hasard, mais à la mentalité de l'époque et à l'influence de la mondialisation ultralibérale. Il est par ailleurs navrant de percevoir à quel point le raisonnement des plus influents se révèle aussi futile et fataliste, simpliste et naïf. C'est le signe que le monde de l'homme va mal et que la confusion de Knobelspiess s'accompagne malheureusement d'une certaine dose de vérité : les vraies racailles se situent davantage dans les milieux de l'Elite, des cols blancs et des influents qu'au sein de la population des déshérités et des pauvres, qui, comme chacun devrait le savoir, sont surtout les boucs émissaires de la politique de l'économisme triomphant.

Jugeant que la correction et le débat exigeaient que j'envoie cette note à Xavier Raufer, je l'ai contacté via son adresse e-mail. Voilà ce qu'il me répond :

"Que répondre ?
Un haussement d’épaules fera l’affaire.
Le flot de racontars que vous m’envoyez est faux à 99% - la seule fois où j’ai perdu du temps à poursuivre un élément de la (petite) meute des flics de la pensée, le calomniateur fut condamné suite à des attendus si sévères qu’il n’osa même pas aller en appel.
Sur 11 faits concrets qu’il me reprochait en effet... Les 11 étaient matériellement faux !
Que répondre à de pauvres types qui recopient à l’aveugle ce qu’ils trouvent dans les poubelles d’Internet, sans en rien vérifier, en dépit des règles minimales de décence et d’honnêteté ?
Et qui bien sûr, se croient intouchables, cachés derrière leur petit blog ?
Rien.
Qu’ils croient ce qu’ils veulent, si ça donne un semblant de sens à leur pauvre vie.
Vous trouverez ce que j’ai fait et fais sur www.xavier-raufer.com
Telle est ma carrière; telles sont mes œuvres.
Pour le reste; rien à expliquer – ni moins encore à justifier.
Bien à vous, XR."

Assez déçu par la menace implicite que contenait cette réponse, alors même que ma démarche répondait au dialogue et non à l'intimidation, je lui ai transmis mes regrets et mes peines. Je constate d'une manière plus générale que le dialogue laisse de plus en plus place à la judiciarisation de la société et que cette manière de concevoir la contradiction ne correspond pas au principe de l'échange et de la démocratie, qui veut que la Justice tranche quand le dialogue n'est plus possible. Tel n'était évidemment pas le cas.

"Monsieur,

Je m'étonne que par un effet d'abyme assez ironique, vous fassiez preuve d'un tel mépris. Je ne sache pas que les hères qui ont le malheur de n'être pas d'accord avec vous soient tous passibles de railleries et de menaces. Ai-je prétendu que vous étiez un horrible nazi ou la réincarnation d'un croisement entre Staline et Ben Laden? Ai-je laissé planer des insinuations malveillantes sur votre vie privée ou sentimentale? Me suis-je moqué de vous physiquement ? Ai-je tenté de vous intimider ? Certainement pas. Je ne fais que profiter de la liberté de ton que permet Internet et qui dérange. C'est bien dommage que la diffamation soit votre seule réponse. Les rétorsions judiciaires ne sont pas pertinentes dans le cas de ma démarche. Au lieu d'agir comme éléments de clarification, elles vont dans le sens de la censure. Quant aux erreurs que j'ai commises, je suis tout à fait disposé à les corriger et à les publier, ce que l'écrit permet, contrairement au flot de la télévision. Il suffit juste que vous daigniez les pointer du doigt. Le fait que je vous ai envoyé cette note et que vous disposiez d'un site Internet m'avait laissé croire que les libertés d'information et d'expression étaient accrues par l'outil Internet et que vous acceptiez les augures de la contestation sur les bases de la réponse argumentée - non de la menace tacite. Peut-être suis-je un imbécile ou un pauvre type; certainement pas un homme de mauvaise foi. Le dialogue pèse plus lourd que la condamnation.
Bien à vous."

Les adieux odieux de Raufer contiennent le postulat récurrent des nantis de la modernité : à le lire, tout son flair se situe dans ses narines!

"Pour en finir.
Je ne vous méprise pas. Un professeur ne méprise personne – sinon, il change de métier.
Mais ayant derrière moi vingt ans d’enseignement supérieur, des milliers d’examens oraux et écrits, des dizaines de thèses et de mémoires, je vous jauge - avec froideur et détachement comme il se doit en pareil cas - pour ce que vous êtes.
Les écrits révèlent bien le caractère des gens. Ils révèlent de vous un être vaniteux et susceptible, pas très doué, capable de pomper à droite et à gauche des données non vérifiées et ensuite de les présenter en un charabia qu’il croit savant.
Bref, ça vaut 4 sur 20.
Je dialogue avec plaisir avec les étudiants brillants et cela m’enrichit beaucoup.
Mais vous, pas envie et pas le temps. Adieu, XR"

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