vendredi 6 juillet 2007

Seul l'espace peut nous sauver

« Le nouveau monde des Temps modernes a son propre fondement historial en cela et là même où toute histoire, tout événement, a son fondement essentiel : dans la métaphysique. » (Nietzsche II).

« La métaphysique en tant que métaphysique, est l'authentique nihilisme. […] Pense-t-elle l'Être même ? Jamais. Elle pense l'étant eu égard à l'Être. » (Nietzsche II).


La ruche universitaire ne cesse depuis l'après-guerre de fourmiller avec passion et bourdonnement autour de l'affaire Heidegger. Heidegger fut-il nazi? Selon les uns, oui, à tel point qu'il faudrait interdire sa pensée nauséabonde (parti des censeurs). Pour les autres, l'engagement correspondit à une erreur de jeunesse passagère et une parenthèse qu'il serait temps de refermer (parti des dénégateurs, je n'ose dire des négationnistes). Il est plus probable que Heidegger fut le grand ontologue qu'on connaît couplé à un homme profondément marqué par les options nazies de l'avant-guerre. Après tout, la coexistence au sein du même homme de la grandeur et de la monstruosité n'a rien d'étonnant. Il semblerait qu'on puisse être philosophe de valeur et détraqué sexuel. Dans ce cas... Dans le cas de Heidegger, il serait fallacieux d'ignorer l'engagement nazi et les doutes sur sa persistance d'un revers de main, comme si l'accident ne méritait pas considération en regard des profondeurs ontologiques énoncées. Je crains fort que cette hypothèse n'annonce le choix d'un chemin qui ne mène nulle part. Car la critique qu'opère Heidegger de la technique, sa vision de l'Etre et des étants suppose une profonde aversion envers le libéralisme et le capitalisme. La réaction nazie intervient ainsi en plein essor de l'Amérique libérale et n'est pas sans lien avec le communisme. Dans les deux cas, il s'agit d'échapper à la consommation et à la réduction de l'homme et du réel à des étants ravalés au statut d'objets. S'il est certain que Heidegger commit une faute irréparable en optant pour l'alternative nazie (comme Sartre, lecteur assidu d'Etre et Temps durant son périple allemand, entacha sa personne en soutenant contre vents et marées l'idéologie communiste sous toutes ses formes), la profondeur de jugement qu'on lui reconnaît sur l'Etre explique cet engagement extrémiste et destructeur par la vision claire et lucide de la fin rapide et terrible qui attendait l'homme s'il s'engageait dans l'option libérale. Heidegger, en bon lecteur de Nietzsche, avait vu le dernier homme, le nihilisme débilitant et l'ultralibéralisme de pacotille. Dans l'esprit du jeune Heidegger, seul le recours à la violence pouvait empêcher l'humanité, en rupture de monothéisme, de supporter le fardeau qui l'attendait. Et de ce point de vue, il est difficile de donner tort à Heidegger. Le philosophe fut monstrueux comme les islamistes conséquents qui s'engagent dans le fanatisme musulman en considérant avec justesse la dérive du monde occidental. De ce point de vue, c'est la prudence qui doit guider nos pas : car de ces multiples exemples, il résulte que l'opposition au système dominant accouche le plus souvent de la violence et de la folie. Le seul moyen d'échapper à cet inquiétant travers consiste encore à bâtir le futur système dominant. La spatialisation vaut mieux que la mondialisation.

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