Dans ses Soleils révolus, le lundi 3 mai 1982, à la page 460-461, Matzneff note : "Je suis irritable et irrité, fatigué des autres, fatigué de moi-même, fatigué de vivre. Pourtant j'aime la vie, quand elle a le visage de mes jeunes amantes, mais je me sens vieux, et totalement désespéré.
Mes livres sont mes juges et mes bourreaux. Ah! partir pour les Philippines, à jamais, comme Rimbaud pour l'Afrique, ne plus jamais publier une ligne, ne plus jamais voir que des êtres à qui mon nom ne dit rien, qui n'ont pas de stupides jugements a priori sur moi! Quel repos!
Mais le plus sûr des repos sera encore la mort."
Matzneff est au moins d'une honnêteté scrupuleuse en (dé)livrant un témoignage éloquent sur sa conception de l'existence. Matzneff n'est pas cet homme épanoui, qui aurait accédé à une manière de vivre supérieure et différente, que le commun des mortels condamne parce qu'il n'est pas capable de comprendre - un peu comme le fou marginalisé par la foule du fait de sa sagesse incomprise. Pas davantage Matzneff ne témoigne-t-il de ses coups de blues passagers - ce que tout un chacun expérimente à son corps défendant, ainsi que Pascal l'a justement noté. Des passages de cet acabit se recueillent à foison dans le journal, où les envies de suicide succèdent à la répétition des scènes érotiques. Matzneff le proclame lui-même à qui veut l'entendre, ses aventures avec de très jeunes femmes sont le rempart à ses pulsions suicidaires. La quête pathologique de la jeunesse est d'essence morbide. Le vieux accède à la jeunesse éternelle en couchant avec des jeunes. On sait que Matzneff ne se contente pas de jeunes femmes et qu'il revendique lui-même des aventures pédophiles répétées. C'est la révélation, Gabriel! La pédophilie révèle en effet qu'elle n'est jamais que la réponse désespérée à la vieillesse et la mort. C'est en couchant avec des (très) jeunes que le pédophile estime baiser la vie. Quand il ne dispose plus de cet échappatoire terrible, qui ressortit de l'expression : baiser la camarde (car baiser la jeunesse ferait plus vieillir prématurément que rajeunir), son humeur de fond ressurgit derrière le masque du plaisir, de l'hédonisme débridé et de la différence arrogante et élitiste. Le suicide ou la pédophilie : la pratique pédophile correspondrait-elle à l'ultime tentative pour éviter le suicide - en donnant symboliquement la mort au crime parfait de la vie, cette jeunesse provocante qui s'échappe et qui vieillit? Dans tous les cas, la morbidité atteint son niveau maximal dans la mesure où elle est le refus de la mort. Ce refus de la mort, qui est le mal courant de l'homme, s'avère exacerbé dans le cas des perversions singulièrement sexuelles. La mort est l'événement le plus inacceptable pour le vivant. La perversion consiste à refuser la condition du vivant et la finitude. Prêt à tout pour échapper à la promesse inévitable de sa disparition, il peut en venir à la pédophilie quand le scandale suprême pour sa conscience est de vieillir. Le pédophile n'accepte pas la défaillance du sens là où elle se révèle la plus cruciale et primordiale : ne pas expliquer la mort est le véritable scandale. Du coup, il se venge sur le bouc émissaire désigné et idéal, le jeune qui doit payer de son avantage tant qu'il en est pourvu et tant qu'il peut encore payer (double victime, dans la mesure où l'agression s'opère sur une qualité provisoire et illusoire). On comprend pourquoi le pédophile ne saurait changer, sauf cas exceptionnel, voire s'amender, c'est-à-dire accéder à la monstruosité de son acte. Pour que le pervers ne justifie pas l'injustifiable (et tout peut se justifier, le meilleur comme le pire, Matzneff en offre le témoignage éloquent), il faudrait qu'on lui explique la mort. Rien à redire : la mission est vraiment impossible. Notre pédophile se sent ainsi suicidaire et insomniaque pour ne pas accepter ce que l'homme du vulgaire, celui qu'il méprise par ressentiment (le plus puissant au sens nietzschéen), digère tant bien que mal : l'avènement de la mort - qu'il travestit en procession érotique du plaisir. Le plaisir comme rempart à la mort? Plus que cette erreur d'aiguillage : le plaisir en tant que symptôme de mort (on se rappellera du poème de Marbeuf et de la polyphonie amour/mort). D'ailleurs, l'excès de souffrance consiste bien à refuser l'avant-goût de la mort. Voilà pourquoi l'homme ne couche ni avec ses enfants, ni n'(ab)use des plus jeunes pousses : c'est même le fondement de sa morale, ainsi, notamment, que le Lévitique l'enseigne.
mercredi 11 juillet 2007
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire