jeudi 12 juillet 2007

L'art sain

"Les artistes sont-ils au-dessus de la morale? Sommes-nous, par décret spécial de la Providence, affranchis des règles qui assujettissent le commun des mortels?
Ce ne sont pas des questions à poser, tant le mot "privilège" est de nos jours devenu pestifère.
Pourtant, dans la vie, tout est privilège : la naissance est un privilège, la beauté est un privilège, la santé est un privilège, le talent est un privilège."

Ces lignes édifiantes n'émanent pas d'un Dorante ou d'un Clitandre, aristocrates sortis de l'imagination de Molière et représentants caricaturaux de la force et de l'arbitraire. Elles sont extraites de l'article C'est la gloire, Pierre-François!, extraite du recueil éponyme. Un homme y découvre son totalitarisme viscéral et explique de manière implicite ses pratiques sexuelles destructrices. Matzneff, puisque c'est de cet artiste qu'il s'agit, serait tout à fait en droit de critiquer l'égalitarisme ou de dresser l'apologie de la méritocratie. Tout au contraire, notre bonhomme croit supérieur, fin et cultivé de tresser les lauriers de l'inné, débat très à la mode chez les néoconservateurs (ah, l'éternel retour des modes!). Bref, Matzneff, cet homme de gauche, à condition qu'on ne touche pas à sa personne, réhabilite le droit du plus fort au nom des inégalités de naissance. La perversion du raisonnement consiste à confondre le talent de l'artiste, qu'il ne s'agit certainement pas de persécuter, ni d'envoyer dans des camps de redressement, avec la réhabilitation de la pédophilie au nom de l'art. L'argutie est particulièrement odieuse et tordue : on ne voit pas bien en quoi un artiste devrait être pédophile pour être pleinement artiste, pas davantage qu'il faudrait accepter la différence pédophile pour être libre et intelligent. L'intelligence, venons-y. Notre poseur fumeux, qui aimerait tant être fameux, a trouvé la parade imparable contre les critiques à l'encontre de ses moeurs (et non de son art) : elles émanent d'esprits obtus, bornés, dont la bêtise n'aurait d'égal que le moralisme étriqué. Bref, la violence émanerait plutôt de ces vertueux pharisiens que de leurs innocentes, intelligentes et incomprises victimes. La persécution contre Matzneff serait persécution contre la supériorité et contre le génie. Matzneff réclame un passe-droit au nom de la Nature. Selon ses critères très subjectifs, qui n'arrangent jamais que sa petite personne, son petit narcissisme, le talent autorise tout, y compris et surtout l'exercice de la violence et de la destruction. Vivre sous régime exceptionnel, c'est ce que réclame Matzneff. Vivre, non par-delà bien et mal, mais au-dessus du bien et du mal, comme un Artiste, coincé entre les dieux et les héros. On sent bien que Matzneff, au nom de l'artiste condition, aimerait être le propre créateur de ses lois. C'est d'ailleurs peut-être l'exigence secrète de son désir, l'aiguillon impétueux de son fantasme inavouable. Ne pas référer à la société de ses moeurs, du moment que ses propres valeurs sont supérieures et insondables pour le commun. Le vice de Matzneff réside dans son affranchissement feint. Car au-delà du délire de son désir, force est de constater qu'il prend son public à témoin, comme s'il ne pouvait se délivrer de sa conscience morale. L'homme supérieur qui crée et demeure incompris du vulgaire, fort bien; encore est-on en droit d'attendre de ce créateur qu'il ne soit pas surtout et avant tout destructeur. Pour appartenir à la clique des nihilistes travestis, Matzneff est un traître qui connaît trop son larcin et y cherche un dérivatif et un exutoire. Ce n'est, heureusement, ni l'écriture, ni l'art qui le lui offriront! Contrairement aux jeux de séduction qu'il intente sur ses jeunes proies, la supercherie n'a pas fonctionné, la confusion est démasquée : l'artiste, Dieu merci, n'est certainement pas un pervers. Ce n'est pas demain que le mensonge supplantera la réalité.

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