lundi 16 juillet 2007

Histoires d'O²

Celle-là, je ne sais pas si c'est la meilleure, mais elle est bien bonne! Interloqué de retrouver, parmi les soutiens de Matzneff, l'inénarrable Savigneau, voilà que je tombe sur un article d'elle frais récent. Sans doute n'est-ce pas à cause de son parti-pris pour la vérité made in Matzneff que Savigneau n'officie plus à la tête du Monde des Livres. Sans doute est-ce pour des raisons plus sombres et manoeuvrières, qui la conforteront dans sa vision de la société : manipulons, manipulons, puisqu'il n'y a que des manipulateurs. Comme tous les nihilistes de son temps, temps où le nihilisme domine, Savigneau estime que l'important est de dire quelque chose. Que ce soit n'importe quoi ne la rebute pas. Le cas de Matzneff est extrêmement grave et montre l'irresponsabilité de ces commentateurs chargés de décider pour le peuple de ses valeurs supposées. C'est un peu comme si une journaliste convaincue de soutien à la Collaboration expliquait posément que son refus du moralisme (ou de la bêtise) la dispensait d'expliquer ses engagements à des sots de la Résistance. Il est vrai que ce type d'arguments ne fonctionne pas en matière de violence politique et institutionnelle. La démocratie ferme les yeux pour les violences insidieuses, qu'elle ne reconnaît pas du moment qu'elles demeurent confinées dans la sphère privée. A côté de ces monstruosités impayables et impudentes, la tribune dont Savigneau a hérité, comme un legs spirituel, dans le Monde des livres, semble anodine. Surtout ce vendredi 13 juillet. Vendredi 13, j'aurais dû me méfier. Je ne sais pas pourquoi j'ai prêté attention, sans doute à cause de Matzneff... Voilà des lustres que je ne lis plus un supplément littéraire, celui-là comme les autres vidé de sa saveur et de sa substance, comme Le Monde d'ailleurs, comme la presse dans son ensemble, qui est devenue blanc bonnet, bonnet blanc, depuis que les gros bonnets du capitalisme font des journaux leurs danseuses à des fins de propagande totalitaire. Cette fois, Savigneau a décidé, fait unique et exceptionnel dans les médias, de célébrer les mérites de Jean d'Ormesson, le sémillant octogénaire, qui refait depuis des lustres le coup du dernier livre, alors que la tragédie réside dans le fait qu'il en ait sorti un premier (heureusement, plus personne ne s'en souvient). D'Ormesson, l'onctueux mondain qui incarne le visage de l'écrivain démocratique : un élitiste impayable doublé d'un médiocre impubliable. Toutes qualités qui expliquent, en plus de son génie inégalé pour assortir ses yeux à sa chemise, que les savigneaupratins s'extasient de cet ancêtre prophétique, qui à lui seul annonçait BHL et sa clique de gâteux par la naissance. Donc Savigneau, sentant sa fin prochaine advenir, s'empresse de perler de compliments prêts à emporter (comme les petits fours du traiteur quand on sort chez l'ambassadeur ou l'éditeur...) notre académicien assorti à l'azur. Et puis, comme le cabotinage rime avec copinage, Savigneau s'emporte et ne peut s'empêcher de convoquer quelques contemporains. Avec son insolence coutumière. Qu'on en juge : "Etre totalement préservé de la jalousie et du ressentiment qui font détester ses contemporains. Ainsi, Jean d'Ormesson sait rendre hommage à ses cadets." Ca commence par Patrick Besson, ce "schizophrène cossard" (qu'est-ce que ça veut dire?), "qui publie du bon et du moins bon, mais a "plus de talent que les autres, et peut-être plus que personne". Premier compliment. Deuxième compliment : Gabriel Matzneff. Ben voyons! "Un sauteur latiniste, un séducteur intellectuel, un diététicien métaphysique. Il prête souvent à rire, il est rarement médiocre." Un jour, les historiens faisant assaut de psychologie découvriront que la fin du vingtième siècle considérait l'intelligence comme le must indépassable et que tous les snobs du culturo-mondain célébrait l'intelligence comme l'incarnation indépassable du raffinement et de la vérité. Moyennant quoi, le culte de l'intelligence se révélera correspondre à l'archétype ironique et hilarant de la bêtise, qui plus est bourgeoise et impudente. Voulez-vous reconnaître un pompeux imbécile de fin vingtième (comme on dirait fin de règne)? Guettez le compliment d'intelligence (avec la bêtise et l'ennemi)! Flaubert et Proust, au secours! Matzneff est un lointain cousin de Marcel, le genre d'énergumène à récuser précisément le manuscrit du grand écrivain de son époque au nom de l'atavisme de grand-papa Gide. Comme Dédé, Matzneff aime la jeunesse d'un peu trop près, mais, qu'on se le tienne pour dit (et consommé), à la différence du prolo pervers et pépère, Gaby-la-Science est in-tel-li-gent. Dans ce cas... Passons au troisième compliment. Nabe? Non, Savigneau l'a arrosé de champagne dans une rixe salonnarde où chacun a pu mesurer l'aune de son courage. Face à la meute, tante Josy dégaine! Flûte! Quelle prise de bec! Bonheur divin! Savigneau est si intelligente qu'elle adresse à son lecteur, dans sa commisération, une charade. Et qui est donc ce "classique rebelle et farceur, doué comme pas un? Jean d'Ormesson lui-même?" Suspense intolérable, roulements de tambour : le successeur de Balzac, la réincarnation de Zola, le styliste le plus important depuis Céline déboule! "Philippe Sollers. Mais c'est peut-être celui dont [d'Ormesson] se sent le plus proche, car tous deux se rallient à ce mot de Stendhal : "L'essentiel est de fuir les sots et de nous maintenir en joie." Alors, là, non, pardon, on n'est subitement plus d'accord avec Josy. Sollers, comme Matzneff, comme d'Ormesson, comme, sans doute, Besson, c'est de l'institutionnel démocratique à la sauce élite grande-bourgeoise : c'est très mauvais, très puant et ça se croit sorti de la cuisse de Jupiter. Et puis, surtout, on en a par-dessus la tête des vieux tours de manche : citer avec une emphase détachée Stendhal pour asséner une critique qu'on aimerait acerbe et qui ne convient jamais mieux qu'à soi-même. Qui est le plus sot, sinon Sollers l'intelligent? Et le plus démodé, sinon Sollers le classique? D'Ormesson? Ou Savigneau? Et quelle est l'idiosyncrasie, comme aurait déclaré Nietzsche, de tous ces esprits de plomb qui se réclament de la joie comme du Bien le plus haut, le plus noble et le plus élevé? Un peu comme un hard rockeur qui se réclamerait de la légèreté, le nihiliste vante les mérites de la joie. Heureuse justice immanente, il en est aussi dépourvu que les cadavres de mobilité. Comme les nihilistes aiment les gens joyeux, les pédophiles les enfants, Sollers et sa bande de croquemitaines aiment les écrivains. Quoique. Les écrits vains?

Aucun commentaire: