mardi 17 juillet 2007

L'ombre et la folie

Lire et relire Nietzsche et constater que ce grand marginal sert d'étalon à l'époque contemporaine! Il est loin d'être certain que Nietzsche soit ce héros autant que héraut prophétique dont l'après-guerre aimerait chanter les vertus incomparables. Incompris de son vivant; déchiffré, interprété, commenté à foison par ceux qui pouvaient enfin l'entendre et l'admirer à sa juste valeur... On peut être visionnaire de haut vol et empreint de dangerosité. Si Nietzsche est un stimulant fécond, il n'en demeure pas moins qu'il est aussi un aiguillon destructeur et vicié. Il est facile de s'extasier, comme le font tous les commentateurs verbeux, ceux qui n'ont pas beaucoup vécu, ou si peu, et qui, en bons élèves du système, identifient le rebelle au héros, le Nieztsche dynamiteur de la morale et fondateur des nouvelles valeurs. Je ne vois pas bien en quoi Nietzsche a été un bâtisseur. Un destructeur, sans aucun doute. Un sardonique et génial trublion qui est survenu à une période troublée, entre la fin du monothéisme et l'attente des nouvelles formes de divin et de religiosité. Pour annoncer la fin d'une époque, Nietzsche ne présage en rien de la suite. C'est là sa grandeur et sa limite. Ce n'est pas un hasard si Nietzsche fut repris (et récupéré de manière scandaleuse) tant par les nazis que par les postmodernes. Chacune de ces écoles étaient d'essence destructrice et avait bien senti quel usage fécond elle pourrait faire d'un penseur miné par la maladie et le nihilisme. Le nihilisme, venons-y. Il est frappant de constater que Nietzsche a annoncé, avec une prescience stupéfiante, le nihilisme contemporain et que c'est pour cette raison qu'il est célébré par tous les penseurs contemporains, qui ne se rendent pas compte que les savantes arguties qu'ils déploient pour glorifier leur aîné ne parviennent pas à masquer le fondement essentiel : Deleuze, Derrida, Foucault, tous sont des nihilistes qui le sont d'autant plus qu'ils se réclament des ors contraires (avec un luxe de jargon superfétatoire et pompeux caractéristique de la vanité et du néant). J'ajoute à cette liste Clément Rosset, dont le nihilisme est heureusement tempéré par son ontologie tautologique. Le plus perspicace lecteur de Nietzsche que je connaisse, René Girard, et certainement pas Heidegger, qui n'était pas nihiliste, mais estimait que seul le culte de la violence était en mesure de nous prémunir du nihilisme contemporain, Girard a bien compris que la démarche essentielle de Nietzsche revenait à opposer Dionysos au Christ. Nietzsche était persuadé que la figure tutélaire du Christ menait l'humanité à sa perte et que le meilleur rempart contre cette déchéance tenait dans l'évocation de Dionysos. Malheureusement, le projet de Nietzsche a abouti à une impasse. En convoquant Dionysos contre le Christ, il ne fait jamais qu'appeler l'ancien totalitarisme et son système de bouc émissaire contre le décryptage de la violence qu'annonce la crucifixion et la Passion. Il est très curieux et très ironique que Nieztsche, pour prévenir le nihilisme dont il redoutait l'avènement, ait précisément fait le choix qui garantissait sa réalisation. Rien n'est plus fallacieux et dément que d'appeler au retour de Dionysos contre le Christ. Rien n'est plus réactionnaire et erroné. Pour toutes ces raisons, Nietzsche est l'emblème contemporaine en ce qu'il a préféré l'occultation de la violence (et le système atavique du bouc émissaire) à la considération des nouvelles formes de la violence. Incapable d'affronter les mutations effrayantes et effroyables qu'engendrait l'effondrement du monothéisme, il a préféré fuir et se cacher les yeux. Au lieu d'interroger la violence, il a prétendu revenir en arrière. Pitoyable dérobade et contre-sens effarant qui expliquent sa folie finale! Que tous les fous et les détraqués, nazis comme nihilistes post-modernes, laudateurs de la perversion et de la transgression se réclament de son oeuvre impressionnante et considérable ne saurait tromper. Nietzsche est ce penseur aussi puissant que trouble qui réhabilite la violence sans mesurer les conséquences ni la portée de son geste de défi. D'un côté, il cautionnait, même indirectement, les massacres du vingtième siècle, ce siècle de paix et de tolérance; de l'autre, il légitimait l'avènement d'un nihilisme de plus en plus débilitant, dont les incarnations sont de plus en plus veules, viles et inquiétantes. Le propre du nihilisme est d'accélérer le mouvement de son cercle vicieux. Le propre du nihilisme est de susciter l'éloge de la médiocrité comme grandeur. Le propre du nihilisme est de remplacer la création et la pensée par l'imitation et le commentaire sans cesse affadis. Aucun doute là-dessus, c'est bien le nihilisme qui nous meut et qui explique l'actuelle prédominance sur les esprits de l'ultralibéralisme et des idéologies du désespoir et de l'absurde. Il n'est pas certain que ce tableau offre de l'influence de Nieztsche sur sa postérité une représentation positive. Mais il serait temps de rompre avec la complaisance ébaubie que manifestent les élites envers leur maître à penser, comme de cesser de s'extasier devant la génialité en tant que génialité. Car le génie comprend ses propres abîmes et, dans le cas de Nietzsche, le gouffre qui l'a mené à l'effondrement contient le péril majeur qui menace l'humanité : sa propre destruction causée par ses méthodes ineptes, à l'instar de ces enfants qui cassent leur jouet ou de ces bûcherons qui scient la branche sur laquelle ils sont assis. Ce n'est pas Nieztsche qui nous sortira de l'ornière, il nous y a plutôt précipités. Heureusement que des natures vigoureuses et intrépides sauront démentir d'un coup l'asthénie de leur époque et les stupides incantations macabres. Après la réalisation du nihilisme, il est temps de sortir de l'âge de plomb!

2 commentaires:

Louis Douglas a dit…

Selon Nietzsche, est nihiliste la personne qui combat ses instincts et passions, comme la religion Catholique. Une haine de soi.

Il voulait se dépoussiérer en luttant contre les préjugés chrétiens pourrissant son être intérieur et contre les préjugés socialistes pourrissant l'extérieur, la société.

De nos jours, il y a beaucoup de frustrés de la vie, incapables de l'accepter comme elle est. Ils ressentent le besoin d'y trouver un sens et sont enfermés dans leurs traits de caractère, sans possibilité de s'ouvrir à du nouveau. Ils s'inventent ou adoptent un système moral pour justifier leur stagnation devant les esprits libres.

Ce n'est certainement avec des bondieuseries, le jugement dernier, l'au-delà; et des histoires de péché et de rédemption que la personne grandit. Elle ne peut qu'être soumise, malade, un parasite de la société qui s'amuse à sucer l'énergie des êtres libres et puissant.

Louis Douglas a dit…

Et quel est le problème avec le libéralisme? Quand même grâce aux échanges internationaux que l'on peut se développer. À l'opposer il y a le communisme, avec sous-production et sur-pollution, de même que perte de la liberté devant l'État, qui n'est pas un État de droit en passant.