mercredi 4 juillet 2007

L'amour de l'amer

Pourquoi tant d'auteurs éprouvent-ils le besoin de (ba)lancer au grand jour leurs expériences sexuelles, y compris quand elle se solde par des révélations fracassantes, ignobles et grotesques, avec implication de mineurs? Les journaux intimes et les confessions pleuvent comme une mode éditoriale. En vrac, et de mémoire : à l'ancêtre Gide, on peut ajouter Matzneff, Polac, Nabe, Jaccard, Millet pour les confessions sexuelles particulièrement corsées. Ils ne seraient certainement pas les seuls, mais leur mention suffit à poser la question de leur publication. Car, enfin, les tirages faramineux de Catherine Millet, qui narre à longueur de pages ses partouzes répétitives, ne saurait cacher la médiocrité relative de ces journaux exhibitionnistes et nombrilistes. Le lecteur ressort de ces pages avec l'impression que l'affirmation exacerbée de son ego est le fondement de l'existence. La glorification de la séduction comme apologie de la puissance personnelle, de la domination et de la tromperie (symbole de l'intelligence, comme chacun sait) n'est pas seulement l'apanage (inquiétant) de la modernité. C'est aussi la raison pour laquelle certains sus-mentionnés dépassent la ligne jaune sans même s'en rendre bien compte. Matzneff, dans les Moins de seize ans, revendiquera toujours les moeurs des glorieux anciens pour légitimer sa pédophilie inquiétante; Polac narrera son expérience avortée avec un gamin de onze ans; René Schérer phénoménalisera sur la pédophilie comme sexualité maudite, interdite et sur l'intolérance face à la différence : ces coups de force contre la démocratie ont pour point commun d'opérer le lien entre le nihilisme contemporain, dont les racines remontent au pessimisme chic, et le totalitarisme classique. Cette constatation ne nous explique toujours pas pourquoi Polac a ainsi dérapé, alors qu'il avait la possibilité d'éviter ce piège cent fois prévisible. Ses explications alambiquées ne nous aident guère à voir plus clair. Est-ce masochisme, volonté de faire parler de lui, de créer le scandale, de s'imbriquer à la liste des écrivains maudits, lui qui a toujours rêvé d'être un artiste, et qui estime sans doute qu'être artiste c'est faire scandale? Polac traîne-t-il dans un milieu si gangréné par la séduction impénitente, le libertinage cabotin et le culte de la transgression perverse qu'il en est venu à trouver anodin, en tout cas digne d'intérêt, de procéder à sa confession sordide et supérieure? Polac adhère-t-il à la ligne de défense des nietzschéens (surtout de gauche) selon lesquels tout jugement critique sur les moeurs ressortit du moralisme et de la pudibonderie? Polac a-t-il conservé de ses années anarcho-soixante-huitardes le goût de la libération total(itair)e? Si encore Polac était seul, on pourrait invoquer le dérapage ou le jugement déficient. Mais ce n'est pas le cas, et, circonstance aggravante, celui qui a édité soigneusement (avec le concours de Dauzat) le Journal de Polac n'est autre que Jaccard! C'est donc bien qu'une certaine mentalité, qui se veut éclairée, consiste à poser que la fin de l'homme réside dans la recherche tous azimuts du plaisir. Plaisir totalitaire, en ce que la satisfaction des puissants implique fatalement l'asservissement des plus faibles. Plaisir utopique, en ce que cette quête conduit aux graves écarts dont Polac donne le cruel témoignage : le caractère irréalisable de la plénitude hédoniste pousse à la surenchère désespérée. Plaisir controuvé, en ce que ses fervents supporteurs sont tous des pessimistes, désespérés et autres nihilistes. Le moins qu'on puisse constater est que l'exercice du plaisir n'incline pas chez ces gens à la joie et à l'équilibre! Point n'est besoin de faire assaut de sagesse pour statuer : le plaisir comme fin de l'existence est la garantie de la destruction et de la déréliction. Ce n'est pas pour rien que les hédonistes conséquents fixent des entraves au plaisir et qu'ils mettent en garde contre la démesure. Elle n'engendre jamais que la médiocrité et la confusion entre la vie et le refus de la mort. Tout un programme dont Polac & Co. feraient bien de s'inspirer - s'ils en sont encore capables.

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