mercredi 6 juin 2007
Petite tête
L'expression prendre la grosse tête signifie, au propre comme au figuré, qu'un individu, soudain cerné par les feux de la renommée, s'estime, par une opération de transmutation aussi mystérieuse qu'indicible, hissé au-dessus du commun des mortels, au point d'acquérir le sens du sérieux et d'une Providence qui, dans un juste retour de manivelle, agrée à ses attentes (souvent frustrées d'ailleurs, pendant trop longtemps). Le spectateur découvre, surtout quand il n'est pas un familier, avec stupéfaction le bouleversement qui s'est emparé de celui qui, auparavant, se montrait si simple, si disponible, si généreux. Comment pareille et si grotesque métamorphose s'est-elle produite - sans crier gare? Comment le malheureux a-t-il égaré en chemin sa lucidité - comme les pédales de son vélo? Le plus invraisemblable est que ce syndrome frappe la plupart de ceux que la célébrité (surtout quand sa relativité se conjugue à sa futilité furtive) calcine de sa foudre sèche et fatale. Gare au péché d'orgueil! Il serait trompeur d'estimer que leur faillite n'est que la conséquence de leur faiblesse originelle. Sans doute est-il plus prudent d'estimer que la grosse tête menace tout individu susceptible de goûter aux ors de la gloire. L'extrême vulnérabilité n'est pas l'apanage de l'autre. Elle nous (con)cerne au premier chef. Cette vulnérabilité est d'autant plus insidieuse qu'elle nous guette et nous attaque par surprise, comme des proies innocentes et faciles. Je veux dire que l'individu se croira d'autant plus à l'abri du moindre risque d'inflation narcissique qu'il y est précisément le tragique sujet. Ironique cruauté du sort, dont le propre est d'attaquer des victimes qui s'ignorent! Les plus snobs, chez Proust notamment, trahissent leur travers et leur vice dans la mesure exacte où ils se réclament de la plus extrême et totale simplicité. La plus éclatante preuve de fatuité, le révélateur de la tête enflée est encore les assauts de dénégation dont se targue la victime et dont son entourage le presse et le persuade avec perfidie. C'est ainsi que Robert de Saint-Loup livre-t-il la trace de son impayable morgue au moment où il s'astreint à faire peuple. Pour finir, car le temps presse, je me demande si le symptôme que l'on nomme grosse tête n'est pas dénommé et décrit un peu hâtivement. Rien à redire sur le fait que l'égo se trouve alors acculé à la démesure et à la perte de limite (parler à la troisième personne revient ainsi à récuser les astreintes de la subjectivité, à revendiquer une dépersonnalisation glorieuse). Il se pourrait pourtant que la cause de cette démesure réside moins dans le gonflement que dans le rétrécissement de l'égo. L'égo surdimensionné serait une erreur d'optique, qui abriterait l'atrophie pathologique. A se voir ainsi perdre en personnalité et en profondeur, l'individu en proie au syndrome de grosse tête compense par le recours grotesque à l'enflure. Ainsi de la grenouille confrontée au boeuf. Loin d'avoir gagné en proportions ou changé en avantages, son opération de duperie l'a conduite à n'être jamais que la seule dupe de son système de tromperie. Et, au final? Elle éclate.
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