Episode 1.
Je suis la rediffusion Internet de l'émission Ce soir ou jamais, consacrée au sport et à la santé. D'un côté : Erwann Menthéour, ancien cycliste professionnel repenti, et des journalistes, philosophes, intellectuels, persuadés que le sport de haut niveau exprime l'ultralibéralisme poussé à son paroxysme et qu'il implique dans son essence le dopage. De l'autre, les privilégiés du système ultralibéral dans sa logique sportive : Daniel Bilalian, le patron des sports de France Télévision, un journaliste (trop) enthousiaste, et Bixente Lizarazu. Le Basque bondissant, à la gueule d'ange et au sourire d'éternel adolescent, aux biceps de Stallone et aux plaquettes chocolat version légion étrang(èr)e. Après avoir entendu les critiques qui pleuvent sur le sport professionnel comme la vérité délave son autobiographie angélique, Bixente ne veut pas finir en ange déchu. Il s'élève avec vigueur : non, juré, craché, le dopage dans le football, il n'en a jamais entendu parler. Il a eu la chance de gagner bien sa vie, très bien même, et de figurer pendant de nombreuses années dans un grand club aux méthodes ultralibérales et à l'ambiance familiale, le Bayern de Munich. Du pur Bonheur, qu'on vous dit, avec une touche de Grâce et un soupçon de Miracle... Bref, Bixente est un homme heureux, un homme comblé, et il tient à ce que ça se sache. Toute critique émise contre le sport en général, le foot en particulier, est un mensonge. Bixente est un homme naturel, qui ne pense pas que l'argent pourrit le football, et qui affirme son attachement aux vraies valeurs et à l'éthique. Quand il prend la parole, on sent bien que tout le monde est gêné, à commencer par l'un des premiers repentis du cyclisme, j'ai nommé Menthéour, et qu'un vent de non-dit souffle sur l'assemblée. Lizarazu a beau être défendu à mots couverts par Bilalian, qui sait ce que la télévision doit au sport de haut niveau, le malaise ne croît pas - il stagne. Lizarazu ne tient pas seulement le discours classique de déni jusqu'au-boutiste que tous les sportifs reprennent comme une antienne glauque, y compris (et surtout) quand l'évidence les accable. Lizarazu défend le principe du sport de haut niveau comme vitrine de la Perfection, qui camoufle à grand peine la rengaine de l'ultralibéralisme. Non qu'il faille oublier que la pratique sportive en son essence est injuste et bénéficie aux plus talentueux. Non qu'il faille réduire les exploits à des pratiques seulement dopantes. Simplement, la pratique du sport implique qu'elle finisse en vitrine de propagande de l'ultralibéralisme travesti en combat pour la liberté (comme la pornographie ou la réglementarisation de la prostitution, autres vitrines de proue de l'ultralibéralisme). En louant la gloire et la fortune, qui ne manquent pas d'échoir à l'élite des sportifs comblés par la réussite, Lizarazu, dont on remarquera qu'il n'acquiesce jamais qu'à sa propre élection (ce qui n'en fait jamais qu'un pathétique narcissique), oublie simplement que le principe du sport de haut niveau illustre les dérives ultralibérales. Soit le fait de détruire des centaines de jeunes pour l'édification d'une carrière accomplie. Le sport de haut niveau fonctionne sur le système de l'holocauste : il consomme l'immense majorité pour mieux élever les rares privilégiés rescapés et, du fait de leur reconnaissance, déifiés comme les Superhéros de l'Hyperréel. Le star-system n'obéit pas à une autre logique que celle de la reconnaissance antique, avec cette particularité qu'elle n'accepte la divinisation que pour les oeuvres sensibles, spécifiquement humaines. Le discours de Lizarazu acquiesce à cette monstruosité sociale en légitimant la destruction prédominante au nom de l'élection exceptionnelle. C'est dire à quel point le sport de haut niveau contredit la morale démocratique. Pas seulement : le sport de haut niveau constitue un remarquable révélateur de l'essence ultralibérale. De même que le sport professionnel accouche immanquablement de ses dérives (déréglementation et injustice), le libéralisme engendre nécessairement l'ultralibéralisme. De même que la pérennité du sport de haut niveau n'est viable que sur le court terme, celle du libéralisme comme système philosophico-économique recèle d'autant moins de validité qu'elle assure (tous risques!) la destruction et la disparition de l'espèce humaine sur le long terme. Pour un Lizarazu, combien de gladiateurs promis au martyr et à l'hallali? Cette question, à laquelle Lizarazu évite soigneusement de répondre, entraîne son corolaire inquiétant : si l'essence du sport est fondamentalement inégale et destructrice (non pérenne), la légitimation du sport professionnel par les élites qui en tirent avantage, directement ou indirectement, ou qui manipulent quelques idiots utiles, auxquels nous appartenons presque toujours par quelque réflexe de passion, obéit à une logique d'hypocrisie qui n'est pas seulement abjecte et infâme. Là aussi, le mensonge que chacun cautionne, alors que personne n'en ignore la cause, à moins de se boucher les oreilles et les yeux, n'est pas seulement le seul déni du monde sportif. Il exprime le mensonge du monde moderne, qui aimerait adhérer à sa rationalité, son équilibre et sa pérennité, alors que son hyperrationalité revendiquée n'est que la conséquence de son système bancal, condamné à la disparition et à l'invalidité. Lizarazu a-t-il conscience qu'en cautionnant le mensonge sportif, celui de son petit intérêt mal compris, puisqu'à court terme, il se livre à l'exercice de l'hypocrisie ontologique, telle que la modernité s'en fait le héraut quotidien et aveuglé? Certainement pas! Le Basque bondit avec d'autant plus de fougue et de candeur qu'il a validé les valeurs ultralibérales au nom de sa propre reconnaissance. Pour la connaissance, il repasserait, si d'aventure il en avait le moindre souci. Apparemment, ce ne semble pas le cas!
samedi 9 juin 2007
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