Episode 12.
L'interdiction du dopage mérite considération : pourquoi interdire la prise de substances, alors que la recherche antidopage aura toujours un train de retard (pour rester optimiste...) sur les dopeurs, de plus en plus scientifiques et invisibles. Effectivement, les médecins ont pris la place des soigneurs. Le dopage sera bientôt aussi indétectable que le crime parfait : chacun sait qui a tué, aucune preuve ne peut être administrée. Sauf que chacun sait. Il suffit par exemple de confronter les moyennes horaires du Tour de France d'une année sur l'autre pour savoir si dopage il y a - ou pas. On pourrait invoquer la morale ou la vérité pour justifier de l'interdiction de dopage. Les sportifs nous abreuvent d'une morale de l'exemplarité et de l'exception héroïque alors qu'ils recourent au mensonge pour parvenir à leurs performances. La seule morale qui puisse être invoquée ressortit de la santé publique. A en croire les spécialistes, le dopage nuit gravement à la santé, provoquant maladies et mort. On connaît pourtant le discours à la mode, selon lequel le respect de la liberté implique l'acceptation des comportements qui nous paraissent les plus aberrants. Au nom de la tolérance, les différences les plus extrêmes deviennent acceptables. En particulier, la violence que l'on s'inflige est acceptable à condition que la personne soit consentante. Sur cette notion de consentance, et ses définitions ambiguës, nous n'en saurons pas plus - passons. Pourquoi ne légalise-t-on pas le dopage au nom de la lutte contre l'hypocrisie et pour la vérité? Le sportif dopé est ce héros aux performances surhumaines, cet Hercule capable des plus impressionnantes et inimaginables prouesses, ce dieu qui, par ses exploits répétés, a accédé à une autre dimension. Au nom de ces sensations, rares et hors normes, que vaut la vie banale et monotone? Ne mérite-t-elle pas d'être bousculée pour un bien plus rare, plus haut et plus beau? N'est-il pas envisageable qu'on privilégie une carrière sportive exceptionnelle de dix ans raccourcie de trente ans de vie aux miasmes de la routine et de la répétition? Argument psychologique : de quel droit l'homme ordinaire jugerait-il des choix du héros sportif? Argument culpabilisateur : n'est-ce pas jalousie? On remarquera que les tenants de la légalisation, du dopage comme de la prostitution ou la pornographie, invoquent la liberté pour justifier de l'existence de la violence. Comme la crapule se réclame du Bien pour commettre ses exactions en toute impunité, le totalitaire argue de la liberté pour imposer son coup de force. C'est pourquoi les libertaires sont souvent les tenants d'une hypersolution qui revendique la liberté d'autant plus qu'elle fait le jeu de la violence insidieuse et courante. Le dopage pourrait présenter l'argument majeur et éclatant, celui contre lequel aucune contradiction ne vaut, s'il était en mesure de se présenter comme vertu. Si tant est que la vertu, y compris dans son sens étymologique, soit l'expression de la puissance de réalisation, le dopage est un vice en ce qu'il procède du fantasme d'irréalisation travesti en hyperréalisation de la puissance et de l'action. Plus le sport prétend purger le réel de ses vices de faiblesse et d'imperfection, plus il recourt à la destruction et à l'illusion comme poisons guérisseurs. Plus précisément : la réalité que recouvre le symptôme d'illusion n'est autre que la destruction. C'est la perversité du dopage que de retourner le sens pour le faire apparaître à l'envers de ce qu'il est. Comme la crapule est l'honnête homme, le dopage exprime l'hyperréel. L'irréalisation du dopage est d'autant plus pernicieuse qu'elle se réclame impérieusement du réel le plus noble - du fantasme de réel auquel l'homme aspire dans sa grande folie : atteindre à la perfection, qui, comme chacun sait, ne s'obtient que grâce à l'imperfection. Soit l'hyperréel.
jeudi 21 juin 2007
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