Episode 2.
Il est frappant de constater l'apologie du corps que délivrent tant le sport que la pornographie. Entendons-nous bien : contrairement à ce que nous serinent des idéalistes du monde des possibles, le sport professionnel (en tout cas dans ce monde-ci!) ne pouvait qu'engendrer le sport business, comme la pornographie ne pouvait que déboucher sur l'escalade de la violence sexuelle. On est aussi loin, dans la pornographie, de la libération des interdits sexuels, que dans le sport, de l'esprit d'équipe et des hautes valeurs de générosité et d'abnégation. Par contre, la tromperie libertaire va de pair avec la toute-puissance du corps et la négation de l'esprit. Dans le sport comme dans la pornographie, les dialogues sont souvent minimalistes, voire subliminaux. Souvent, les éructations expéditives remplacent avantageusement les dialogues savoureux et les arguments approfondis. Depuis leur médiatisation, l'évolution des corps a suivi une inflation similaire : symboles de l'hyperréalisme et du culte de la performance, ils épousent des contours de plus en plus body-buildés. Ce sont des corps à succès, des corps qui suscitent l'attrait, des corps surmusclés, dénués de graisse, des corps qui parlent pour eux-mêmes. Dans le sport comme dans la pornographie, la performance suit les courbes prévisibles de la surenchère quantitative. Toujours plus de dopage pour sortir du réel et rejoindre l'Hyperréel! S'éloigner du sensible pour rejoindre le coup d'État du fantasme : transformer le réel en désir humain, à ceci près que cette transformation n'est jamais que fantasmatique. Outre le fait que cette magie noire ne change rien réellement, elle conduit par contre à des destructions logiques, elles fort réelles. La parenté entre pornographie et sport professionnel ne laisse de frapper : carrière éphémère, soumise à l'impératif de la jeunesse dorée, sélection des qualités les plus favorables à l'idéal de performance et de puissance - et surtout cloisonnement entre l'espace atemporel de la représentation et le retour à l'espace du réel. L'espace de la représentation correspond d'autant plus à l'idéal inaccessible qu'il renvoie in fine à la destruction réelle juste reportée, à l'instar du mythe de Faust, qui annonce le destin tragique de notre modernité. L'acteur sportif comme l'acteur pornographique (car il faudra bien ranger le sportif dans la catégorie des acteurs de l'Hyperréel, soit des victimes bénéficiaires du changement fantasmatiques) jouent forcément au-dessus de leur moyen, en ce qu'ils annoncent l'impossible transmutation de l'homme vers le Surhomme. Ce thème du Surhomme a été d'autant plus décrié par les adversaires des fascismes qu'ils s'en sont emparés insidieusement par la suite pour le rapporter à leur propre définition. Aujourd'hui, le Surhomme est une super marchandise dotée d'une super puissance de consommation. Le seul hic tient au mensonge et à l'occultation dramatique que ce mythe du Surhomme recèle nécessairement : le temps du Surhomme implique aussi sûrement celui du sous-homme que la création appelle de ses voeux paradoxaux la destruction. Il faut passer à la caisse dans la mesure où la casse est importante. Dans le cas de la pornographie, l'apologie de la toute-puissance du désir engendre la négation de l'individu, une fois ce désir inopérant ou impraticable. Pour le sportif, le prix à payer est encore plus visible, à défaut d'être forcément plus exorbitant. Car le temps doré de la carrière, qui implique la satisfaction du désir tout-puissant, sera suivi d'un retour à la vie réelle fortement décevant. Pas seulement. Le mensonge de la morale sportive est contenu en germes dans les conséquences de l'accès au Superhomme : l'usage forcené du corps suppose des risques inévitables de surchauffe qui coïncide avec le réel recouvré (on ne compte plus les vies abrégées et les maladies hâtives). Ce premier mensonge se redouble d'un second, connexe : l'entrée à l'Hyperréel sportif (mais aussi pornographique) est soumis à des critères encore plus restrictifs qu'au Royaume des cieux, tel du moins qu'il nous est présenté dans les Actes des Apôtres. Ce goulot d'entrée médiatise d'autant plus les vainqueurs au rang de héros supérieurs que l'on fait peu de cas des vaincus et des détruits. De sorte que le destin qui attend l'aspirant sportif est tout aussi désespérant qu'antitragique : sa grandeur consisterait moins à affronter, puis transcender la souffrance qu'à la nier et à la précipiter. Chacun sait la décrépitude qui attend le sportif, qu'elle soit immédiate (carrière avortée ou mineure) ou différée (l'apothéose de la carrière sportive précédant avec sadisme l'effondrement prévisible). Et pourtant, chacun aujourd'hui envie le destin du sportif adulé, au point d'oublier que sa réussite tout à fait exceptionnelle se paiera au prix fort (le mensonge de l'hypersanté étant racheté par la maladie). C'est donc que le supporter, qu'il se range dans la catégorie ou non des fanatiques, a besoin de ce mirage de l'Hyperréel, quitte à ce qu'il corresponde à un grossier mensonge, pour croire que l'existence vaine et ennuyeuse de la normalité prétende à un progrès qualitatif et au passage du réel vers l'Hyperréel. Outre que cette duperie philosophique est sanctionnée, comme tous les marchés de dupes, par la Chute ontologique, elle occulte le vrai prix de la vie et de l'héroïsme. Il n'aura échappé à personne que le héros est l'antithèse du sportif ou de la pornstar en ce qu'il ne procède pas à l'apologie de la finitude, mais au rappel des standards de l'absolu. Que le statut enviable de Zidane ou de Katsun/mi ait pour pendant le rejet de l'infime majorité des prétendants n'est que le pendant prévisible du paradoxe qui veut que l'apologie univoque du désir comme pure positivité cache son pitoyable échec dans les plis de ses prémisses.
dimanche 10 juin 2007
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