samedi 26 mai 2007
L'emprise du sens
Une des caractéristiques les plus remarquables du porno tient dans l'extraordinaire répétition des scénarios qu'il induit. Alors que les mauvais films se signalent par leur approche superficielle du réel, le porno ne court aucun risque, pour se limiter à des éructations plus ou moins aiguës en fonction de l'identité sexuelle. Les mâles sont censés produire les borborygmes les plus rauques; les femmes se signalent par leurs couinements stridents. Dans les deux cas, l'absence de sens pourrait à la rigueur exprimer la disjonction entre le plaisir (sexuel) et le sens. Il est remarquable que les sens désignent, dans un raccourci saisissant, le plaisir sexuel. Le titre d'un film-culte, L'Empire des sens, évoque mieux le plaisir que tous les racolages du monde. Les sens transcendent le sens. L'expression du plaisir est au-dessus des mots. Raison pour laquelle la distinction métaphysique essence/existence n'est pertinente que dans un schéma où le sens peut déchiffrer le réel. Le porno n'exprime aucun sens puisque le vieux dualisme y est remplacé par l'occultation de l'idéal au profit de l'hyperréalisme. L'absence de sens aurait pu engendrer le recours à la métonymie : ligne esthétique vers laquelle la tradition s'est logiquement tournée, consistant à exprimer les implications du sexe dans la vie ordinaire. L'absence a été comblée par la tautologie : soit le remplacement du sensible par la représentation outrée. Rien à redire : il n'y a rien à dire du sexe. Soit son usage mène à la reproduction, c'est-à-dire à la création ontologique, à ce mystère du devenir qui tient aussi dans sa nécessité implacable. Soit son recours conduit à la destruction, qui revient, on le notera, au cheminement inverse, mais aussi au dessein complémentaire de la reproduction. Pour le dire d'un mot, les sens renvoient soit à l'essence, qui est aussi la limite et le mystère du sens, soit à l'essence, liquide hautement inflammable et périlleux, dont l'embrasement conduit aux ravages et à la transformation. Le porno a choisi cette seconde option, qui est aussi une redoutable voie de garage. Le refus du sens mène au nihilisme intégral et à la violence intégrale, quand son acceptation pose son problème ontologique, mais permet à l'homme de se mouvoir avec dignité dans ce grand environnement dont il ne sait rien et qui lui sert d'habitacle provisoire.
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