Episode 1.
Très instructive émission de Ce soir ou jamais du lundi 30 avril. Taddeï a cru bon d'inviter des gens qui prétendent tous être pro porno, à des degrés très divers. Je reviendrai dans d'autres épisodes sur d'autres thèmes fort instructifs que soulèvent les discours évoqués. A la fin de l'émission, le journaliste Frédéric Joignot, qui considère la pornographie comme un art majeur qui a changé la vie (esthétique fort contestable), met les pieds dans le plat : sur Internet, une dérégulation complète se passe. Selon les modalités répétitives d'un rituel parfaitement huilé, si j'ose dire, quinze énergumènes masqués s'échineraient à démolir une proie-fille, avec pour but subliminal de s'attaquer à l'archétype de la femme.
Il appelle cette pratique extrême de la destruction pure et simple, plutôt que du gonzo. KatsuNi, grande hardeuse devant l'Eternel, et spécialiste des gonzos, proteste et fait remarquer que ces pratiques relèveraient du snuff movie. Je reprends la définition qu'offre Wikipédia du snuff movie. "Les Snuff movies (ou Snuff films) sont des films courts généralement sous forme d'unique plan-séquence mal filmé et instable qui mettent en scène un meurtre (supposément) réel, souvent précédé de pornographie avec viols de femmes ou d'enfants. Le terme de snuff movie apparaît au milieu des années 1970 pour désigner des films clandestins contenant les images de sévices et de meurtres qui se prétendent réels. Ces films faits de brutalité et de violence semblent destinés à des amateurs demandeurs. Un certain nombre de films pour le cinéma ont traité du thème des snuff movies. La réalité de ces films est toutefois discutée, certains considérant qu'il s'agirait principalement d'une légende urbaine." On remarque que KatsuNi profère des renseignements inexacts (c'est sans doute son patronyme qui veut ça...), puisque Joignot ne désigne pas le snuff movie, mais la violence de plus en plus révoltante qui sévit dans la norme pornographique. N'en déplaise à KatsuNi, le gonzo est un art lui aussi fort violent, même si ce n'est pas la mort (quoique...).
1) Je remarquerai que la pornographie, depuis son explosion médiatique dans les années soixante-dix, tend vers une surenchère dans la violence. Cette évolution, que certains nommeront dégradation, non sans raison, s'explique aisément : car le sexe comme performance (il n'est qu'à voir qu'une star comme KatsuNi a déjà tourné plus de deux cents films en quelques années!) implique le principe de la surenchère, au nom de la négation du sentiment et au profit du totalitarisme de la finitude. Or ce totalitarisme moraliste et violent (comme tous les totalitarismes) suppose qu'on retrouve de l'absolu ou de l'infini dans la division et la multiplication indéfinie. soit dans la recherche de l'écartèlement, de la pénétration de plus en plus profonde (dans tous les sens aussi), mais aussi de l'augmentation des doses. Un peu comme le toxicomane est contraint d'ajouter toujours plus de produit pour ne pas perdre en intensité, le pornographe est contraint à plus de violence et de destruction pour permaner dans le fini. Les Anciens ne connaissaient que trop cette grave tentation de la démesure, ce qui explique la présence forte et récurrente du tabou et de l'interdit en matière de sexe.
2) Revenons à Wikipédia et aux précisions que l'encyclopédie fameuse et libre d'Internet apporte sur le snuff movie : "La légende populaire veut que le snuff soit le produit d'un faux tournage, suivant le schéma suivant : un producteur organise un casting pour un film pornographique, les interprètes engagées sont ainsi manipulées pour être victimes de vraies tortures et d'abus, avant le meurtre final. Ce film circule ensuite dans un circuit fermé de riches amateurs de crimes où ces cassettes circulent à prix d’or. Deux composantes sont essentielles dans le snuff movie : la mort et l’image.
* La mort : elle doit être présentée comme étant réelle, mais il faut également qu’elle soit visible dans son déroulement. On doit voir « le mourant », autrement dit la victime sur le point de mourir, ou en train de mourir, et non la mort ayant déjà réalisé son œuvre. Autre aspect, la victime est consciente de sa mort.
* L’image : la mort doit être filmée. Il ne s’agit pas de simples photos, il faut accentuer le réalisme par le mouvement et la durée. Le plan-séquence est généralement de mauvaise qualité et filmé par un cinéaste semi-professionnel (éclairage présent mais partiel et mauvais, cadrages instables mais ciblés, etc.)."
Il est fascinant de constater que le snuff movie, par ses deux caractéristiques de définition, n'est que le symbole, caricatural, outrancier et abject sans doute, des latences et des implicites inhérents à toutes démarche pornographique. Soit le fait de montrer la mort de la vie dans le sexe. Or, l'image pornographique n'a rien à montrer. Cruauté et richesse du paradoxe! Contrairement au fantasme, la réalité crue est forcément déceptive en ce qu'elle n'est jamais que la réalité (un sexe, une fesse, une partie de corps, un objet), et non plus le fantasme (adjonction d'un supplément d'être au simple réel). J'ajouterai que cette définition malheureusement lucide pour l'époque et le vice de forme qu'elle renferme, qui veut que le snuff movie ne soit que l'extrême révélateur de la pornographie, ne renseigne pas seulement sur l'erreur et le mensonge ontologique fort dangereux que contient la démarche pornographique. Il se pourrait fortement que la pornographie soit le miroir de l'époque, soit le fait de réduire le réel au fini, au consommable, à l'objet. A en croire la fable du snuff movie, la morale est terrible : car si l'époque ne change pas ses valeurs et ses fondements, elle court à la destruction et à la mort. Voilà qui est certainement plus préjudiciable que les anciennes valeurs, les anciens interdits et le divin englobant la violence institutionnalisée. Il est curieux que l'on ait remplacé un système pesant, mais pérenne, par un substitut ni viable, ni vivable.
3) Il est fascinant de constater que la pornographie n'est pas seulement une industrie qui rapporte des dizaines de milliards d'euros l'an. Elle est le symbole de l'ultralibéralisme en ce qu'elle incarne véritablement la réduction de la personne au corps, et celle du corps à l'argent et la marchandise (l'objet dont la seule valeur est à la fois finie et divisible à l'infini, ce qui suffit à démontrer l'aberration ontologique de la pornographie). La pornographie est de ce point de vue la morale (ou l'antienne) de l'époque, ce d'autant plus qu'elle est cachée, réglementée, interdite. La pornographie jouit (si l'on peut dire) du même statut que l'époque, pour laquelle les fondements sont introuvables. Cette perte d'identité et de fondation implique, pour qu'une certaine stabilité demeure, que la vérité soit cachée. D'autre part, la pornographie apparaît au moment où les fondements disparaissent. Le sexe joue d'autant plus le rôle de substitut vacant qu'il incarne le contact avec le mystère du réel et le miracle de la vie (la naissance et la création d'une singularité à partir de rien). Enfin, la pornographie mérite d'être cachée parce que son combat est perdu d'avance. Entendons-nous bien : les fondements du sexe ne disent rien du réel, en ce que plus on montre, moins il y a à voir, et que, de toute manière, il faudra bien s'arrêter à un moment ou un autre. Sur ce point, le terme est, dans tous les sens du terme, la mort.
4) Joignot, qui, c'est le privilège et la limite de sa génération, s'empresse à chaque phrase de constater qu'il n'est pas moraliste, et qui défend de ce fait la pornographie au nom de la liberté (aveuglement moral et ignoré par usure!), Joignot prend soin de noter qu'il désapprouve ces gonzos hyperviolents, ces spectacles de destruction massive et qu'il ne donnera aucun détail pour qu'on ne croie pas qu'il exprime des fantasmes personnels et inavouables. Joignot se rend-il compte qu'en posant une limite arbitraire (nécessairement) à son approbation soit-disant inconditionnelle de la liberté pornographique, il fait acte de morale? Discerne-t-il que les interdits qui régissent la sexualité et la pornographique sont d'autant plus nécessaires qu'il juge urgent de les rétablir à un stade ou un autre, à un moment ou un autre? Comprend-il qu'en feignant de ne donner aucun détail, alors qu'il vient de le faire (paradoxe du non-moraliste?), il sombre dans la pudibonderie la plus moraliste et que les non-dit hypocrites de son discours appellent, réflexe vieux comme le monde, à transgresser l'interdit qu'il édicte en allant voir sur le Net l'Incarnation de l'Horreur? Un peu comme les soixante-huitards ont aboli l'autorité pour mieux s'en emparer, en jouant de l'hypocrisie, Joignot abolit la morale pour mieux la rétablir de façon insidieuse et périlleuse : je ne suis en effet pas persuadé que la limite entre ce qui est permis et interdit intervienne aux portes du snuff movie...
vendredi 4 mai 2007
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