Episode 9.
Si l'on écoute Catherine Millet, qui n'a pas écrit pour rien La Vie sexuelle de Catherine M., parmi les adolescents qui ont accepté de tourner le casting initié par Larry Clark, dans le cadre du projet Destricted, les heureux gagnants de la sélection auront le privilège de tourner des scènes porno avec des acteurs professionnels. Selon Millet, ces jeunes n'auraient pas perdu leur candeur et leurs interrogations d'adolescents face à la sexualité pour autant. Millet adhère ici au postulat selon lequel, bon an mal an, la nature humaine est immuable et que ce n'est pas quelques modifications quant à la représentation sexuelle qui changeront le problème. Que Millet, l'experte émérite des moindres recoins du bois de Boulogne, estime nécessaire de revenir sur la question suffit à démontrer avec éclat que le lieu commun ne coule pas de source - c'est le moins qu'on puisse dire! Quant à moi, j'observerai à quel point Millet a raison, tragiquement raison. Plût au Ciel qu'elle se fût fourvoyée! Si seulement les adolescents étaient devenus plus perspicaces, plus matures, plus lucides que les générations des Ages Obscurs! Ce n'est pas le cas et ce n'est pas le lieu de s'en affliger. L'homme ne changera ni avec la société de consommation, ni avec la pornographie. Il s'adapte. Le drame est que l'adaptation à la pornographie n'implique nullement que le regard des adolescents soit plus critique, plus distant. Il est au contraire tout aussi naïf, tout aussi enclin à prendre les images grotesques et grandiloquentes pour argent comptant. Millet a raison d'adhérer à la permanence des choses, mais son jugement est si avarié, si perverti qu'elle n'est pas effrayée par les conséquences évidentes de son constat. En effet, livrer en pâture à des personnes inexpérimentées, en phase d'apprentissage, de la violence sur le thème le plus tabou et le plus mystérieux, le sexe, c'est leur laisser croire que la violence, le consumérisme et l'ultralibéralisme sont des données qui ne définissent pas seulement notre modernité, mais investissent l'ensemble de la société et du réel pour le siècles des siècles. Amen! Millet délivre une parole monstrueuse et proprement effarante. Qu'elle soit invitée de marque sur un plateau de télévision prestigieux en dit long sur la doxa de l'époque. Une dernière précision, pour finir : Millet n'est nullement un performeuse pornographique, c'est la directrice de la revue Art Press, qui fait la pluie et le beau temps sur le marché de l'art contemporain depuis trente ans. L'art contemporain n'est pas une distraction dans la vie de partouzeuse de Millet (entre autres activités enrichissantes, n'en doutons pas). Je laisse la parole au peintre et journaliste Philippe Lejeune, qui s'applique à distinguer la notion de Beaux-Arts de celle d'art contemporain (d'après les références fournies par Wikipédia) : "N'importe quoi sauf la représentation (...) L'art contemporain se dit conceptuel, c'est-à-dire que, partant d'un concept, on arrive à procurer une sensation. Les Beaux-Arts se donnent un tout autre but, ont un programme bien différent. Partant de l'éprouvé, ils le confrontent à la mémoire collective pour arriver précisément à une idée, c'est-à-dire à un élément que l'on peut comparer(...)" Ce n'est certainement pas un hasard si l'art contemporain et la pornographie prétendent liquider la représentation et instaurer un rapport au réel direct, conceptuel - et utopique. Millet n'a pas commis tant de critiques d'art contemporain pour dériver sans explication vers sa sexualité compulsive et consumériste. Les deux approches sont esthétiques, cohérentes et intimement liées.
dimanche 20 mai 2007
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