Episode 6.
Katsuni s'est empressée d'accepter le projet cinématographique de Gaspar Noé, We Fuck Alone, un film non pornographique, mais interdit aux moins de 18 ans, issu d'un projet collectif, Destricted. Raison invoquée pour justifier de ce choix, elle qui a tourné plus de 200 films pornographiques, pour la plupart des gonzos aux pratiques extrêmes et violentes : Gaspar Noé a une manière de travailler différente de celle des réalisateurs classiques de films porno, à petit comme gros budget, pour lesquels il faut répondre à "une demande, un marché, un cahier des charges", où le nombre de positions et/ou les pratiques sont codifiées en fonction des attentes (supposées?) du public. C'est Katsuni qui nous vend le scoop : on vend un produit quand on prépare un film porno, alors "qu'avec Gaspar c'était vraiment absolument libre". Le porno ressortit d'une contrainte, où Katsuni doit donner le meilleur, le plus fort, le plus intense, alors qu'avec Noé, la liberté de choix (partenaire, cahier des charges, etc.) est garantie. Du coup, Katsuni en est encore déstabilisée, car "elle a fait ce qu'elle veut". Noé n'a cherché ni "à montrer la pénétration, ni à aller dans l'extrême". Du coup, Katsuni le martèle, la scène devient excitante, puisque deux personnes font l'amour, alors que dans le porno classique, ce sont deux hardeurs qui font une scène. Dans le porno, on cherche à montrer "ce qu'il n'y a pas dans la vie normale de monsieur-tout-le-monde", "une sexualité plutôt anormale". Du coup, Katsuni sent bien qu'elle risque de tendre le flanc aux abominables moralistes et autres esprits suspicieux qui seraient enclins à soupçonner la violence de cette représentation de la sexualité. Elle se justifie donc, en vraie moraliste, au nom du Bien : en ce qui la concerne, elle ne cherche pas la performance. Il s'agit de sa sexualité, elle fait les choses "spontanément". Il faut préciser que Taddeï a présenté Katsuni comme une performeuse. La jeune femme est contrainte d'expliquer qu'elle est consentante, que son statut de performeuse découle d'une sexualité qu'elle n'a pas choisie et qu'elle a l'honnêteté d'assumer devant la caméra. Le spectateur se rend-il compte que ces arguments justifient le consentement au nom d'un déterminisme inexpugnable, qui fait de Katsuni le paradigme de l'homme face à sa sexualité : prisonnier de ses pulsions irrationnelles, incontrôlables et toutes-puissantes? Comme par hasard, ces pulsions sont aussi et toujours tournées vers la violence aveugle et la domination de la femme. Comme par hasard, tant l'homme que la femme se trouvent prisonniers de stéréotypes qui les ravalent au rang d'objets et de pantins. Le porno fait de l'homme une machine simpliste et tristement mécanique. Quel désespoir abyssal tapi derrière la représentation de ce déterminisme étriqué, où le désir est, plus que prévisible, acculé à la chute et l'enfermement! J'ajouterai que dans enfermement s'entend enfer. Serait-ce que le porno soit pavé de bonnes intentions? En tout cas, il n'est personne sur le plateau pour relever que la performeuse, à la différence de l'actrice classique, réalise dans le réel et dans son corps son fameux cahier des charges. Je m'explique. Catherine Deneuve peut jouer tous les rôles de meurtrière, de reine, de manipulatrice ou de femme fatale, elle ne se trouve impliquée qu'indirectement. Catherine Deneuve, à la différence de son personnage, n'a pas tué, par exemple. Au contraire, Katsuni, quand son personnage se fait prendre violemment par plusieurs hommes et femmes, expérimente en même temps que son personnage les scènes imparties et promises à la fiction. Cette contradiction s'explique à partir du moment où l'on s'avise que la pornographie nie le fantasme et le désir en réalisant (dans tous les sens du terme) la transgression sexuelle. Le fait que la structure du fantasme ne soit pas réalisable s'explique par le fait que le fantasme est la plus sûre garantie pour l'homme d'accession au réel. Sans fantasme, le désir n'accède plus au réel, il est prisonnier de son piège. Il est clos sur lui-même, comme une mouche collé à son ruban empoisonné. Le désir, promis à la mort, exprime l'aspect sauvage de son implacable solitude. Rien d'étonnant qu'il se montre si enclin à rapporter une certaine propension à la violence meurtrière et que le but de la sexualité soit de défoncer ou d'être défoncé (ce qui, dans l'intention et les effets psychologiques, revient au même). J'en finirai en constatant que cette attitude est, de l'aveu des psychologues avertis, le révélateur de penchants psychotiques (le morcèlement du désir et de la représentation appelant celui, au moins symbolique, du corps), ce qui n'est guère rassurant, et celui, plus inquiétant encore, de déviances psychopathes (le plaisir de tuer, même et surtout symbolique, sanctionnant celui d'être coupé du restant du réel). Se pourrait-il que l'acteur porno ait remplacé le plaisir par la violence (et la mort) et qu'il soit le sombre symbole de notre époque?
lundi 14 mai 2007
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