vendredi 18 mai 2007

L'ombre de Mai 68

Si l'on en croit Alain de Benoist, la critique de Mai 68, telle que Sarkozy l'opère, ne retient que la caricature d'une seule influence, que l'on pourrait résumer au slogan : "Il est interdit d'interdire". C'est la dénonciation bien connue de l'autoritarisme, le refus des contraintes, le rejet de l'autorité, des normes et des valeurs, la liberté intégrale. Sur ce premier point, il est certain que la réaction aux excès d'autorité et à la pesanteur conservatrice fut en son temps urgente et salutaire. Mais il est tout aussi certain qu'une société en perte de valeurs est une société où le principe de l'échange fonctionne mal, une société promise au délitement. L'école représenterait une excellente incarnation des dérives et des impasses auxquelles mène le refus de l'autorité et de l'effort - le refus de la vie. D'un point de vue général et distancié, il ne serait pas aberrant de remarquer que Mai 68 fut un mouvement de réaction extrémiste, qui porte en son sein les germes de la décadence propre aux sociétés de consommation : l'hédonisme revenant, non à s'opposer aux valeurs nauséabondes que charrie la société de consommation, mais à en exiger la réalisation jusqu'au-boutiste. Non plus le progrès, mais le Progrès; non plus le bonheur, mais le Bonheur, en somme. Qu'une certaine critique très orientée oublie de Mai 68 son aspect le plus important n'est pas acte fortuit, mais bien volontaire : Alain de Benoist a raison de rappeler que Mai 68 fut aussi la critique de la société de consommation, de la société du spectacle, de l'idéologie marchande. Cette seconde impulsion est autrement plus saine, féconde et riche en développements futurs et l'on comprend qu'elle soit aujourd'hui la cible de la réaction ultralibérale. Fondamentalement, les diatribes démagogiques de Mai 68 ne dérangent pas l'esprit du capitalisme forcené tel que la mondialisation en porte les fruits avariés. Alain de Benoist a raison de remarquer que les revendications vagues et superficielles de l'hédonisme s'accommodent à merveille de l'ordre capitaliste. Il n'est pas étonnant que bien des soixante-huitards, selon une critique fameuse et désabusée, aient été les premiers à manipuler leurs idéaux pour imposer l'esprit de consommation le plus pernicieux. "Jouissons!" n'est jamais que le slogan poussif et réducteur que distille la société de consommation quand elle entreprend d'édicter ses mérites impavides. L'idéologie contemporaine hégémonique a tout intérêt à dénaturer et discréditer la facette sensée de Mai 68 en la recouvrant sous la caricature d'une lame écumeuse, dénuée de fond, peu cohérente. La critique de la société de consommation est en contradiction directe avec l'image d'Épinal qu'on prête à Mai 68 pour enterrer la contestation sous les gravats de l'utopie stupide et post-adolescente. Loin de s'avérer démagogique et décadente, elle annonce parce qu'elle dénonce les limites du libéralisme poussé à son paroxysme (la nécessité évolutive du libéralisme est d'engendrer l'ultralibéralisme) en instituant une critique radicale et pertinent de la société de consommation. Soit dit en passant, Mai 68 ne fut pas que la révolte navrante de quelques hippies en mal de repères. L'événement annonce rien de moins que la sortie tout aussi nécessaire et prévisible du libéralisme. Cette sortie s'énonce à partir d'un constat implacable : plus que tout autre, le monde du fini est un monde périssable - à court terme.

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