lundi 30 avril 2007

Apparances

La grande affaire de la démocratie, sa grande hypocrisie aussi, consiste à tailler le réel aux bornes qui l'arrangent. Cet anthropomorphisme d'un type très ontologique était censé évacuer les questions insolubles de la plus perverse des manières : je ne perçois pas certaines choses, donc ces choses n'existent pas. Question puérile par excellence, qui évoque les caprices de certains enfants ou le déni du réel quand il n'a pas l'heur de correspondre à ses propres attentes. De même que le réel n'est pas le fini, vaste et majeur problème de l'époque, la démocratie a réussi ce prodige de prétendre que le réel serait limité aux apparences. Le système démocratique, sa mentalité, son milieu, consiste à réduire de plus en plus le réel aux normes de l'apparence immédiate. J'en veux pour preuve la dangereuse et inquiétante dérive de l'information de grand public vers le conformisme et le stéréotype. Sans doute les liens entre la haute finance et les médias ne sont pas étrangers à cette évolution destructrice. Mais l'avènement de l'ultralibéralisme n'est que la conséquence logique de ce désir d'occulter la partie immergée de l'iceberg. Bien entendu, la partie immergée demeure telle qu'elle a toujours été, la plus importante. Je veux dire par cette métaphore que l'idéologie du Bonheur n'a substitué qu'en apparence aux innombrables violences qui endeuillent la société humaine son concept fallacieux. En réalité, la violence s'est plutôt déportée vers l'extérieur (de la démocratie) et vers l'intérieur (le totalitarisme insidieux de la démocratie). Il est vrai qu'il n'est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir et que les démocraties occidentales ont anesthésié leurs citoyens peu rétifs en leur offrant la prospérité contre leur silence. Je pose de nouveau la question cruciale : que fait-on de la violence?

mercredi 25 avril 2007

Bas les masques !

On s'étonne de l'émergence de l'extrême-droite de 1988 à 2002. Rien qu'un paradoxe orthodoxe. La France fut gouvernée pendant quatorze ans par un socialiste de droite. Rien de surprenant à ce que la succession ait été assurée par un conservateur de gauche - pendant douze ans. L'érosion de l'extrême-droite, soit d'une démagogie incompatible avec l'exercice du pouvoir, intervient au moment où la gauche assume ses positions sociales-démocrates, quand la droite revendique son libéralisme flirtant avec l'ultralibéralisme. Il reste à espérer que l'Europe saura se détourner de la fascination américaine, qui laisse croire qu'il n'existe aucune alternative autre que chimérique au libéralisme le plus dur, et qu'elle saura tracer la voie vers les alternatives du futur. Comme si le libéralisme était l'idéologie indépassable de l'humaine condition!

Lucidité

J'emprunte cette magnifique citation ainsi que son titre à l'Atelier Clément Rosset et à son (principal) inspirateur, Nicolas Delon.

Les calomniateurs de la gaieté.

"Les hommes profondément blessés par la vie ont jeté la suspicion sur toute gaieté, comme si elle était toujours enfantine et infantile et trahissait une déraison dont la vue ne pourrait susciter que pitié et attendrissement, comme lorsqu'un enfant au bord de la mort cajole encore ses jouets sur son lit. De tels hommes voient sous toutes les roses des tombeaux cachés et dissimulés; réjouissances, vacarme, musique joyeuse leur paraissent semblables à l'illusion volontaire du grand malade qui veut savourer une minute encore l'ivresse de la vie. Mais ce jugement sur la gaieté n'est rien d'autre que sa réfraction sur le fond obscur de la lassitude et de la maladie : il constitue lui-même quelque chose d'attendrissant et de déraisonnable qui appelle la pitié, et même quelque chose d'enfantin et d'infantile, mais de cette seconde enfance qui suit la vieillesse et précède la mort."

Nietzsche, Aurore, 329.

vendredi 20 avril 2007

Le mépris

Christophe Rocancourt affirme que les gens ne s'arrêtent plus dans la rue et ne prêtent plus attention aux autres, en particulier aux plus pauvres. Raison invoquée par Rocancourt : les gens se croient trop exceptionnels, alors qu'ils ne sont que de passage. Au risque de contredire ce grand psychologue qu'est ce fils putatif de Rotschild, au point de fausser le cours des apparences, je crains fort que l'inverse exact ne soit vrai : à savoir que si les gens dans la rue détournent leurs regards, deviennent individualistes en diable, c'est parce qu'ils méprisent leur statut tragique et leur finitude irrévocable. Diagnostic de l'époque : inquiétant.

En route

En route vers le réel!

Pour écrire un seul vers.

« Je crois que je devrais commencer à travailler un peu, à présent que j’apprends à voir. J’ai vingt-huit ans et il n’est pour ainsi dire rien arrivé. Reprenons : j’ai écrit une étude sur Carpaccio qui est mauvaise, un drame intitulé Mariagequi veut démontrer une thèse fausse par des moyens équivoques, et des vers. Oui, mais des vers signifient si peu de chose quand on les a écrits jeune ! On devrait attendre et butiner toute une vie durant, si possible une longue vie durant; et puis enfin, très tard, peut-être saurait-on écrire les dix lignes qui seraient bonnes. Car les vers ne sont pas, comme certains croient, des sentiments ( on les a toujours assez tôt ), ce sont des expériences. Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes et de choses, il faut connaître les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux et savoir quel mouvement font les petites fleurs en s’ouvrant le matin. Il faut pouvoir repenser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils vous apportaient une joie et qu’on ne la comprenait pas ( c’était une joie faite pour un autre ), à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement, par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans des chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyage qui frémissaient très haut et volaient avec toutes les étoiles – et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela. Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient. Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts, dans la chambre, avec la fenêtre ouverte et les bruits qui venaient par à-coups. Et il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs. Il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux, et il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent. Car les souvenirs ne sont pas encore cela. Ce n’est que lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver qu’en une heure très rare, du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers.»

Les Cahiers de Malte Laurids Brigge, Rainer Maria Rilke.

samedi 14 avril 2007

Populisme

L'inquiétude qui prévaut lorsque les critiques s'attachent à caractériser les dérives des discours politiciens porte sur l'extrémisme rampant qui s'emparerait des soi-disant modérés. Les discours d'extrême-droite déteindraient sur les candidats de droite et de gauche. Il est (d)étonnant que si peu ne prennent la mesure de la véritable dérive qui gangrène la démocratie : le populisme. Soit le fait de laisser croire aux électeurs que leurs problèmes de citoyens prévalent sur les solutions proposées et envisagées pour les résoudre. A ce compte, le populisme le plus efficace et le plus cohérent est encore celui dans l'incapacité de régner.

Avertissement

Consommation contient sommation. A bon entendeur...

lundi 9 avril 2007

Driss Chraïbi

L'écrivain marocain de langue française Driss Chraïbi est mort. Pour la petite histoire, j'ai logé dans la maison qu'il occupait lorsqu'il vivait au Maroc, rue Delanoé, dans la sympathique et agréable ville d'El-Jadida (anciennement appelée Mazagan par les Portugais). Paix à son âme!

Perversité

Ce qu'il y a de plus terrifiant chez un homme? Cette faculté à supprimer le sentiment, soit à ne plus être en contact avec la spécificité de la vie. Autant le dire tout de suite, cette faculté qui revient à faire d'un être vivant un objet relève de la perversité. Soit du fait de tout tourner sens dessus dessous.
Précisément, le pervers chamboule le sens en ce que son comportement serait justifiable dans un monde où le réel s'accorderait avec le fini. "Si Dieu n'existe pas, tout est permis", a laissé entendre Dostoievski. On pourrait tout aussi bien dire, pour parodier le plus grand des romanciers du dix-neuvième (avec Balzac) : "Si l'infini n'existe pas, le fini autorise toutes les violences".
On remarquera que la morale traditionnelle frappe d'interdits toutes les violences qui risquent de saper la stabilité et la pérennité de la société. Les traditions ne savent que trop ce qu'il en coûte de réveiller les vieux démons. La démocratie n'a pas hésité à sortir la boîte de Pandore : la remise en question de la structure pérenne du bouc émissaire au nom de l'injustice qu'elle comporte.
La démocratie n'a que trop raison : la violence institutionnalisée est injuste, mais elle a au moins le mérite de proposer une solution pour canaliser la violence. Il ne suffit pas de nier la violence pour la supprimer. Les théologiens musulmans ne le savent que trop. La négation de la violence conduit à l'occultation de la violence. Soit la résurgence de la violence sous sa forme occultée, et avec usure, sous la forme de la perversité. Abus outranciers du droit, des droits, de la procédure, la perversité a toujours une bonne raison, une raison légitime, de prospérer sur le dos de la crise des valeurs.
La perversité est discernable, reconnaissable, à partir du moment où la violences institutionnelle est remise en question. Sur le lit de la nouvelle démocratie, qui prétend donner des droits et de la liberté à chacun, la violence prospère comme sur un terreau favorable. L'imperfection de la démocratie libérale est de ne pas considérer la violence comme une donnée intangible des comportements humains.
Il n'échappera à personne que cette vogue de la perversité, son caractère nécessairement insidieux, participe de la formidable hypocrisie contemporaine, qui consiste à nier la crise des valeurs, des fondements, bref : la crise du divin.
Moins qu'une autre, notre époque soi-disant émancipée ne peut se passer de ces sacrosaints fondements que Dieu a incarnés durant la période monothéiste et qui nous font si cruellement défaut depuis lors. Un peu comme le pouvoir, qui a d'autant plus besoin d'un fondement que ce dernier est inévitablement invisible, le fonctionnement du raisonnement humain a besoin d'un fondement pour ne pas sombrer dans des travers dont on mesure d'ores et déjà la gravité si l'on s'avise de faire preuve d'une once de lucidité : la conception traditionnelle de la démocratie dérive vers la démagogie et la tentation de laisser au désir la bride rabattue.
L'occultation du divin montre à quel point les problèmes politiques, sociaux ou économiques que rencontre l'homme découlent tous de l'effondrement du divin et que la crise que traverse l'humanité annonce une refondation des représentations et des valeurs. Reste à savoir si les nouvelles formes de fondements ou de divin parviendront à affronter le grand enjeu, qui n'est rien de moins que de traiter (et de résoudre) la question de la violence : pour empêcher que la formidable énergie dont dispose l'homme se retourne contre lui-même, il reste à l'homme à se donner un défi en mesure de le sortir de l'impasse dans laquelle il s'est fourvoyé et qui l'accable quoi qu'il en dise. Il n'est jamais bon que le sens se retrouve sens dessus dessous!

vendredi 6 avril 2007

Le retour de Koffi

Après un premier trimestre (trop?) trépidant, la saison 2 commence, sur un rythme hebdomadaire et plus calme. Moins de polémiques et de piques. Au Tour du Réel reprendra les séries du blog d'humeur et poursuivra les thématiques qui sont les siennes.