mardi 17 juillet 2007

L'ombre et la folie

Lire et relire Nietzsche et constater que ce grand marginal sert d'étalon à l'époque contemporaine! Il est loin d'être certain que Nietzsche soit ce héros autant que héraut prophétique dont l'après-guerre aimerait chanter les vertus incomparables. Incompris de son vivant; déchiffré, interprété, commenté à foison par ceux qui pouvaient enfin l'entendre et l'admirer à sa juste valeur... On peut être visionnaire de haut vol et empreint de dangerosité. Si Nietzsche est un stimulant fécond, il n'en demeure pas moins qu'il est aussi un aiguillon destructeur et vicié. Il est facile de s'extasier, comme le font tous les commentateurs verbeux, ceux qui n'ont pas beaucoup vécu, ou si peu, et qui, en bons élèves du système, identifient le rebelle au héros, le Nieztsche dynamiteur de la morale et fondateur des nouvelles valeurs. Je ne vois pas bien en quoi Nietzsche a été un bâtisseur. Un destructeur, sans aucun doute. Un sardonique et génial trublion qui est survenu à une période troublée, entre la fin du monothéisme et l'attente des nouvelles formes de divin et de religiosité. Pour annoncer la fin d'une époque, Nietzsche ne présage en rien de la suite. C'est là sa grandeur et sa limite. Ce n'est pas un hasard si Nietzsche fut repris (et récupéré de manière scandaleuse) tant par les nazis que par les postmodernes. Chacune de ces écoles étaient d'essence destructrice et avait bien senti quel usage fécond elle pourrait faire d'un penseur miné par la maladie et le nihilisme. Le nihilisme, venons-y. Il est frappant de constater que Nietzsche a annoncé, avec une prescience stupéfiante, le nihilisme contemporain et que c'est pour cette raison qu'il est célébré par tous les penseurs contemporains, qui ne se rendent pas compte que les savantes arguties qu'ils déploient pour glorifier leur aîné ne parviennent pas à masquer le fondement essentiel : Deleuze, Derrida, Foucault, tous sont des nihilistes qui le sont d'autant plus qu'ils se réclament des ors contraires (avec un luxe de jargon superfétatoire et pompeux caractéristique de la vanité et du néant). J'ajoute à cette liste Clément Rosset, dont le nihilisme est heureusement tempéré par son ontologie tautologique. Le plus perspicace lecteur de Nietzsche que je connaisse, René Girard, et certainement pas Heidegger, qui n'était pas nihiliste, mais estimait que seul le culte de la violence était en mesure de nous prémunir du nihilisme contemporain, Girard a bien compris que la démarche essentielle de Nietzsche revenait à opposer Dionysos au Christ. Nietzsche était persuadé que la figure tutélaire du Christ menait l'humanité à sa perte et que le meilleur rempart contre cette déchéance tenait dans l'évocation de Dionysos. Malheureusement, le projet de Nietzsche a abouti à une impasse. En convoquant Dionysos contre le Christ, il ne fait jamais qu'appeler l'ancien totalitarisme et son système de bouc émissaire contre le décryptage de la violence qu'annonce la crucifixion et la Passion. Il est très curieux et très ironique que Nieztsche, pour prévenir le nihilisme dont il redoutait l'avènement, ait précisément fait le choix qui garantissait sa réalisation. Rien n'est plus fallacieux et dément que d'appeler au retour de Dionysos contre le Christ. Rien n'est plus réactionnaire et erroné. Pour toutes ces raisons, Nietzsche est l'emblème contemporaine en ce qu'il a préféré l'occultation de la violence (et le système atavique du bouc émissaire) à la considération des nouvelles formes de la violence. Incapable d'affronter les mutations effrayantes et effroyables qu'engendrait l'effondrement du monothéisme, il a préféré fuir et se cacher les yeux. Au lieu d'interroger la violence, il a prétendu revenir en arrière. Pitoyable dérobade et contre-sens effarant qui expliquent sa folie finale! Que tous les fous et les détraqués, nazis comme nihilistes post-modernes, laudateurs de la perversion et de la transgression se réclament de son oeuvre impressionnante et considérable ne saurait tromper. Nietzsche est ce penseur aussi puissant que trouble qui réhabilite la violence sans mesurer les conséquences ni la portée de son geste de défi. D'un côté, il cautionnait, même indirectement, les massacres du vingtième siècle, ce siècle de paix et de tolérance; de l'autre, il légitimait l'avènement d'un nihilisme de plus en plus débilitant, dont les incarnations sont de plus en plus veules, viles et inquiétantes. Le propre du nihilisme est d'accélérer le mouvement de son cercle vicieux. Le propre du nihilisme est de susciter l'éloge de la médiocrité comme grandeur. Le propre du nihilisme est de remplacer la création et la pensée par l'imitation et le commentaire sans cesse affadis. Aucun doute là-dessus, c'est bien le nihilisme qui nous meut et qui explique l'actuelle prédominance sur les esprits de l'ultralibéralisme et des idéologies du désespoir et de l'absurde. Il n'est pas certain que ce tableau offre de l'influence de Nieztsche sur sa postérité une représentation positive. Mais il serait temps de rompre avec la complaisance ébaubie que manifestent les élites envers leur maître à penser, comme de cesser de s'extasier devant la génialité en tant que génialité. Car le génie comprend ses propres abîmes et, dans le cas de Nietzsche, le gouffre qui l'a mené à l'effondrement contient le péril majeur qui menace l'humanité : sa propre destruction causée par ses méthodes ineptes, à l'instar de ces enfants qui cassent leur jouet ou de ces bûcherons qui scient la branche sur laquelle ils sont assis. Ce n'est pas Nieztsche qui nous sortira de l'ornière, il nous y a plutôt précipités. Heureusement que des natures vigoureuses et intrépides sauront démentir d'un coup l'asthénie de leur époque et les stupides incantations macabres. Après la réalisation du nihilisme, il est temps de sortir de l'âge de plomb!

lundi 16 juillet 2007

Pourquoi faire simple?

Il arrive aussi, et malheureusement, que l'excès de savoir tue le savoir, je veux dire la finalité du savoir, la réflexion et l'évaluation. Il ne s'agit bien entendu pas de dresser l'éloge de l'inculture et des ignares, à une époque où la sous-culture est promue culture futuriste et incomprise par les bobos béotiens. Tout juste est-il nécessaire de mettre en garde contre la tentation de certitude qu'autorise l'abondance de savoir. Pour autant, et pour user d'un paradoxe : plus tu sais - et moins tu en sais, au sens de : moins tu penses. Il arrive malheureusement trop souvent que l'érudition prenne la place de la réflexion, et avec la bénédiction des auditeurs. "Qu'est-ce qu'il est savant!" remplacerait aisément : "qu'est-ce qu'il pense original et profond!". Le risque est de diluer le jugement dans l'exercice hypertrophié de l'érudition, ce qu'encourage la mode galopante de l'académisme comme signe distinctif de la valeur et fondement ultime de toute production. C'est ainsi que la connaissance approfondie des inextricables formes d'extrêmes-droites est salutaire, si et seulement si elle n'interdit pas, par sa complexité abyssale, d'envisager ce que l'extrémisme de droite possède de commun, une partie de l'institutionnel fût-il de cet ordre. A l'heure actuelle, je m'inquiète, pour la pérennité de la démocratie :
1) que de nombreux transfuges, même évolutifs, d'Occident aient investi la droite démocratique en Occident.
2) que la communauté de conception de cette droite décomplexée, néo-conservatrice, se trouve ensevelie et biaisée sous une montagne de considérations et de distinctions savantes.
De la même manière que l'extrême-gauche présente des myriades de ramifications, y compris au sein du trotskisme français, les parcours des anciens d'Occident sont chacun originaux et dissemblables. Au-delà de certains truismes, il serait inquiétant qu'au nom de la diversité et de la singularité, tout effort de convergence soit occulté. En l'occurrence, je vise, par-delà Occident, ou Occident comme symptôme non seulement passé, mais résurgence bel et bien présente, cette pensée, sans doute empreinte de nuances, qui fait de la sécurité, de la force et de l'ordre les remparts contre la violence, sans interroger les racines de cette violence, dont tous s'accordent à reconnaître la valeur exponentielle et alarmante. Serait-il possible que l'ultralibéralisme comme idéologie dominante et réaction à l'échec communiste corresponde à nombre d'aspirations de l'extrême-droite anti-communiste, nationaliste et autoritaire? La convergence serait d'autant plus intéressante qu'elle contrarie les clivages ordinairement admis. L'apologie de la liberté serait la plus sûre légitimation de la violence liberticide et du fascisme rampant. Le cheval de Troie de l'ultralibéralisme néo-totalitaire s'est-il introduit dans la fourmilière post-Babel de la démocratie utilitaire? En ce cas, la ruse expliquerait la présence massive d'anciens membres influents de mouvements extrémistes misant sur la force pour régler le problème central de la violence et pour mieux dissimuler que c'est le système dominant de l'ultralibéralisme qui crée la violence gratuite en constante augmentation dans les démocraties. Cette violence serait aussi révélateur effarant, à condition que la simplicité permette de voir clair et que la complexité et la multiplicité ne rendent pas troubles l'unité de toute chose.

Histoires d'O²

Celle-là, je ne sais pas si c'est la meilleure, mais elle est bien bonne! Interloqué de retrouver, parmi les soutiens de Matzneff, l'inénarrable Savigneau, voilà que je tombe sur un article d'elle frais récent. Sans doute n'est-ce pas à cause de son parti-pris pour la vérité made in Matzneff que Savigneau n'officie plus à la tête du Monde des Livres. Sans doute est-ce pour des raisons plus sombres et manoeuvrières, qui la conforteront dans sa vision de la société : manipulons, manipulons, puisqu'il n'y a que des manipulateurs. Comme tous les nihilistes de son temps, temps où le nihilisme domine, Savigneau estime que l'important est de dire quelque chose. Que ce soit n'importe quoi ne la rebute pas. Le cas de Matzneff est extrêmement grave et montre l'irresponsabilité de ces commentateurs chargés de décider pour le peuple de ses valeurs supposées. C'est un peu comme si une journaliste convaincue de soutien à la Collaboration expliquait posément que son refus du moralisme (ou de la bêtise) la dispensait d'expliquer ses engagements à des sots de la Résistance. Il est vrai que ce type d'arguments ne fonctionne pas en matière de violence politique et institutionnelle. La démocratie ferme les yeux pour les violences insidieuses, qu'elle ne reconnaît pas du moment qu'elles demeurent confinées dans la sphère privée. A côté de ces monstruosités impayables et impudentes, la tribune dont Savigneau a hérité, comme un legs spirituel, dans le Monde des livres, semble anodine. Surtout ce vendredi 13 juillet. Vendredi 13, j'aurais dû me méfier. Je ne sais pas pourquoi j'ai prêté attention, sans doute à cause de Matzneff... Voilà des lustres que je ne lis plus un supplément littéraire, celui-là comme les autres vidé de sa saveur et de sa substance, comme Le Monde d'ailleurs, comme la presse dans son ensemble, qui est devenue blanc bonnet, bonnet blanc, depuis que les gros bonnets du capitalisme font des journaux leurs danseuses à des fins de propagande totalitaire. Cette fois, Savigneau a décidé, fait unique et exceptionnel dans les médias, de célébrer les mérites de Jean d'Ormesson, le sémillant octogénaire, qui refait depuis des lustres le coup du dernier livre, alors que la tragédie réside dans le fait qu'il en ait sorti un premier (heureusement, plus personne ne s'en souvient). D'Ormesson, l'onctueux mondain qui incarne le visage de l'écrivain démocratique : un élitiste impayable doublé d'un médiocre impubliable. Toutes qualités qui expliquent, en plus de son génie inégalé pour assortir ses yeux à sa chemise, que les savigneaupratins s'extasient de cet ancêtre prophétique, qui à lui seul annonçait BHL et sa clique de gâteux par la naissance. Donc Savigneau, sentant sa fin prochaine advenir, s'empresse de perler de compliments prêts à emporter (comme les petits fours du traiteur quand on sort chez l'ambassadeur ou l'éditeur...) notre académicien assorti à l'azur. Et puis, comme le cabotinage rime avec copinage, Savigneau s'emporte et ne peut s'empêcher de convoquer quelques contemporains. Avec son insolence coutumière. Qu'on en juge : "Etre totalement préservé de la jalousie et du ressentiment qui font détester ses contemporains. Ainsi, Jean d'Ormesson sait rendre hommage à ses cadets." Ca commence par Patrick Besson, ce "schizophrène cossard" (qu'est-ce que ça veut dire?), "qui publie du bon et du moins bon, mais a "plus de talent que les autres, et peut-être plus que personne". Premier compliment. Deuxième compliment : Gabriel Matzneff. Ben voyons! "Un sauteur latiniste, un séducteur intellectuel, un diététicien métaphysique. Il prête souvent à rire, il est rarement médiocre." Un jour, les historiens faisant assaut de psychologie découvriront que la fin du vingtième siècle considérait l'intelligence comme le must indépassable et que tous les snobs du culturo-mondain célébrait l'intelligence comme l'incarnation indépassable du raffinement et de la vérité. Moyennant quoi, le culte de l'intelligence se révélera correspondre à l'archétype ironique et hilarant de la bêtise, qui plus est bourgeoise et impudente. Voulez-vous reconnaître un pompeux imbécile de fin vingtième (comme on dirait fin de règne)? Guettez le compliment d'intelligence (avec la bêtise et l'ennemi)! Flaubert et Proust, au secours! Matzneff est un lointain cousin de Marcel, le genre d'énergumène à récuser précisément le manuscrit du grand écrivain de son époque au nom de l'atavisme de grand-papa Gide. Comme Dédé, Matzneff aime la jeunesse d'un peu trop près, mais, qu'on se le tienne pour dit (et consommé), à la différence du prolo pervers et pépère, Gaby-la-Science est in-tel-li-gent. Dans ce cas... Passons au troisième compliment. Nabe? Non, Savigneau l'a arrosé de champagne dans une rixe salonnarde où chacun a pu mesurer l'aune de son courage. Face à la meute, tante Josy dégaine! Flûte! Quelle prise de bec! Bonheur divin! Savigneau est si intelligente qu'elle adresse à son lecteur, dans sa commisération, une charade. Et qui est donc ce "classique rebelle et farceur, doué comme pas un? Jean d'Ormesson lui-même?" Suspense intolérable, roulements de tambour : le successeur de Balzac, la réincarnation de Zola, le styliste le plus important depuis Céline déboule! "Philippe Sollers. Mais c'est peut-être celui dont [d'Ormesson] se sent le plus proche, car tous deux se rallient à ce mot de Stendhal : "L'essentiel est de fuir les sots et de nous maintenir en joie." Alors, là, non, pardon, on n'est subitement plus d'accord avec Josy. Sollers, comme Matzneff, comme d'Ormesson, comme, sans doute, Besson, c'est de l'institutionnel démocratique à la sauce élite grande-bourgeoise : c'est très mauvais, très puant et ça se croit sorti de la cuisse de Jupiter. Et puis, surtout, on en a par-dessus la tête des vieux tours de manche : citer avec une emphase détachée Stendhal pour asséner une critique qu'on aimerait acerbe et qui ne convient jamais mieux qu'à soi-même. Qui est le plus sot, sinon Sollers l'intelligent? Et le plus démodé, sinon Sollers le classique? D'Ormesson? Ou Savigneau? Et quelle est l'idiosyncrasie, comme aurait déclaré Nietzsche, de tous ces esprits de plomb qui se réclament de la joie comme du Bien le plus haut, le plus noble et le plus élevé? Un peu comme un hard rockeur qui se réclamerait de la légèreté, le nihiliste vante les mérites de la joie. Heureuse justice immanente, il en est aussi dépourvu que les cadavres de mobilité. Comme les nihilistes aiment les gens joyeux, les pédophiles les enfants, Sollers et sa bande de croquemitaines aiment les écrivains. Quoique. Les écrits vains?

Rien de valable sous le soleil

Le plus bizarre dans cette affaire Matzneff, c'est la relative discrétion avec laquelle cet homme a pu revendiquer ses agissements sans se trouver inquiété. Comme dans de nombreux cas de pédophilie, la complicité des puissants est évidente et nécessaire au silence. Pas seulement. Si la pédophilie a toujours existé, elle accompagnait autrefois les abus du plus fort à disposer des plus faibles. Comme les enfants appartiennent à cette catégorie, ils se trouvaient concernés par la violence. En théorie, la démocratie a porté l'accent sur la défense des opprimés. Autant dire que l'hypocrisie camoufle les agissements permanents du totalitarisme rampant. Ce dernier se révèle d'autant plus fort qu'il se manifeste dans la sphère sexuelle. A considérer le nombre d'individus qui se réclament du gauchisme politique et du totalitarisme sexuel, soit de la contradiction manifeste de leurs engagements profonds, on peut se demander si le plus sûr moyen de démasquer la tartufferie ne revient pas à examiner les moeurs plus que les engagements affichés. Pour couvrir Matzneff de justifications oiseuses sur la liberté et la tolérance, il faut s'exprimer depuis un point de vue bien particulier. Soit en régime totalitaire considérer que la hiérarchie sociale justifie d'avance tous les abus (c'était le cas dans l'Antiquité). Soit en régime démocratique faire preuve de nihilisme. Je crains fortement que le nihilisme soit le symptôme (d'ailleurs annoncé par Nietzsche) de la démocratie et de la modernité la plus contemporaine. Et si les fondements de la démocratie tenaient autant, voire moins aux nobles idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité qu'à la relativité des valeurs, au slogan cynique et liberticide du tout se vaut - donc tout est permis? Cette relecture inquiète du cheminement démocratique explique pourquoi le progressisme forcené comme la réaction radicale tombent d'accord pour entériner et légitimer la violence; pourquoi les élites soutiennent tout mouvement de libération et de progressisme, pourvu qu'il fût en apparence opposé à la violence; pourquoi il se trouve tant de soutiens intellectuels à la pédophilie (mais aussi la prostitution); pourquoi enfin l'insidieux a remplacé le péremptoire. Jadis, la nécessité coupait court au débat. Aujourd'hui, le débat étouffe la vérité. Le débat avec des esprits nihilistes s'entend, pour qui la défense de la violence s'inscrit dans un combat pour braver les interdits et repousser les limites (et en profiter pour les interroger subrepticement). Dis-moi comment tu envisages la violence insidieuse et je te dirai dans quelle démocratie tu te situes, démocratie véritablement libérale ou démocratie liberticide. Le problème est que le nihilisme, tout comme la pédophilie, tout comme la violence insidieuse institutionnalisée, n'est pas pérenne et mène à la disparition de l'humanité. Les élites démocratiques sont parfois mortifères.

dimanche 15 juillet 2007

Sans commentaire 24

"Que répondre à cette jeune femme, sinon que j'avais déchiffré l'icône du Christ sur un visage humain. Une icône qui n'était pas seulement visage, mais aussi fenêtre vers la Lumière. Par ma faute, mon inconscience, ma folie, l'icône s'est obscurcie, occultée, et j'ai sombré dans la nuit. Isaïe réjouis-toi est le récit de cette descente dans les ténèbres, de cette descente aux enfers."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 102.

Dieu vienne en aide à l'associé du diable.

Sans commentaire 23

"Si j'étais un parent, je n'hésiterais pas un instant à confier ma fille de quinze ans, mon fils de treize ans, au vilain monsieur."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 98.

Que Savigneau ou Sollers obéissent à cette injonction, confient pour leur bien-être et leur épanouissement leur progéniture à leur archange littéraire et nous jaugerons de la sincérité de leurs convictions. Dans le cas contraire, nous conclurons de leurs engagements que leur facticité est d'essence totalitaire. Les gosses de pauvres, surtout du Tiers-monde, n'ont qu'à bien se tenir! En plus des pédophiles, ils font face à la meute des propagateurs consuméristes et nihilistes.

Sans commentaire 22

"Une mère qui, veuve ou divorcée, élève seule son fils est moins hostile qu'une mère en puissance d'époux à une amitié entre le jeune garçon et un aîné. Dans la mesure du possible, je choisis mes petits amis dans les familles désunies, chaotiques, et je m'en trouve bien. Pour une mère seule, l'adversaire serait plutôt la première maîtresse, la rivale, l'autre femme qui risque de lui enlever son fils, aussi est-elle souvent prête à tolérer, voire à favoriser une relation de type pédérastique entre le gosse et un grand, sûre qu'une semblable aventure, elle, ne se terminera pas par un mariage."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 97.

Je crois que la manipulation odieuse, les conditions de destruction et de violence dans lesquelles s'opère, avec prédilection, et selon l'aveu de Matzneff lui-même, la liaison pédophile sont au-dessus de tout commentaire et valent pour tout type de violence insidieuse et biaisée. C'est notre modernité qui se trouve indirectement mise en accusation. Comprenne qui pourra!

Sans commentaire 21

"Le gosse, ce lingot d'or qu'on enferme dans un coffre-fort. La famille, ce bunker merdique."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 97.

Matzneff, ce disciple de Gide : la haine des familles chez les pédérastes, on sait pourquoi, maintenant!

Sans commentaire 20

"Si dans notre société les très jeunes garçons et filles sont d'un commerce enchanteur, c'est parce que les adultes ne leur portent pas d'intérêt, que ce sont des gosses mal aimés, et qui n'ont même pas conscience d'être des objets de désir et d'amour."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 76.

Sans commentaire.

Sans commentaire 19

"La médecine réactionnaire explique, nous l'avons vu ci-devant, ce goût des pueri delicati par des anomalies génétiques. Il me paraît plus sérieux de penser, avec le professeur Albeaux-Fernet, que la pédérastie n'a aucune base endocrinienne, mais qu'elle a son origine dans certaines perturbations psychiques de la puberté (amitié passionnée pour un camarade, parents divorcés, mère abusive, etc.), s'exerçant sur un tempérament névrotique plus ou moins accentué : c'est "une fixation autoérotique survenue à l'époque ambiguë de l'adolescence sous forme de narcissisme".
Si cette fixation est reçue par la société comme une déviation scandaleuse, c'est parce qu'elle exprime un refus de l'âge adulte, un refus de la maturité, une remise en cause radicale du "tu seras un homme, mon fils" qui est le fondement de toute notre civilisation occidentale prométhéenne."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 72-73.

Quelle lucidité! Dommage que Matzneff trouve matière à gloire et glorification là où la démesure (refus du temps et du devenir) s'affiche et s'affirme avec le plus d'éclat.

Sans commentaire 18

"Aimer les moins de seize ans, est-ce mauvais signe? J'ai posé la question à Roland Jaccard, dont les travaux sur Mélanie Klein font autorité. Voici un fragment de sa réponse :
"C'est plutôt ne pas être attiré par de très jeunes personnes qui m'apparaîtrait comme un mauvais signe. Cela dit, la psychanalyse (au nom de laquelle on écrit beaucoup de sottises - essentiellement pour justifier se propres préjugés affectifs et intellectuels) n'est pas une police de l'esprit. Ou, si elle l'est, elle est entièrement a-répressive : elle accepte même que l'on ne soit attiré par personne. Son projet se situe ailleurs : dans une meilleure compréhension de ce qui nous agit. Tous, nous sommes poursuivis par un imaginaire érotique; la psychanalyse, bien comprise, se borne à éclairer une scène - celle du désir - que l'on préfère généralement laisser dans la pénombre."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p.71-72.

Etre lucide sur le désir, c'est reconnaître en somme que la pédophilie est activité positive et que l'occultation de la pédophilie ressortit de l'hypocrisie moraliste. De surcroît, la marginalisation de la pédophilie découle de la bêtise majoritaire. Heureusement qu'il existe des esprits supérieurs pour la légitimer!
Sans commentaire...

Sans commentaire 17

"Pour celui qui, comme moi, s'est mis dès l'adolescence à l'école des sages de l'Orient et de l'Antiquité gréco-romaine, l'amour des gosses n'est en soi ni un bien ni un mal, mais une chose indifférente, adiaphoron."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 71.

La sagesse nihiliste se situe toujours par-delà bien et mal. Hein, crapule!

Sans commentaire 16

"Pour un esprit religieux, faire l'amour avec un/une enfant, c'est célébrer la divine liturgie, épiclèse, communion au corps et au sang, dithyrambe du seigneur de Dionysos."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 68.

Un commentaire?
J'entends : le pédophile est religieux dans la mesure où il aspire à prendre la place de Dieu, à renverser le sens, à assurer la domination de la destruction sur le réel. Le Dieu de Matzneff, c'est l'Absence incarnée, le rêve que la Présence s'efface et cède la place au Néant. La promotion par certaines élites de Matzneff est conséquente : la revendication de notre monde est perverse en ce qu'elle mène à la disparition de l'humanité.

Sans commentaire 15

"Une femme de trente ans, c'est sécurisant, ça convient à qui dans l'amante cherche la mère. Moi, ce n'est pas la mère que je cherche dans l'amante, c'est l'enfant. Ergo les moins de seize ans.
La pédérastie, seule forme possible de la paternité pour celui qui répugne à fonder un famille."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 67.

Sans commentaire...

Sans commentaire 14

"Les deux êtres les plus sensuels, les plus doués au lit que j'aie connus de ma vie sont un garçon de douze ans et une fille de quinze. Ce garçon de douze ans, j'en avais dix-neuf à l'époque, ce fut une rencontre fugitive (quelques jours seulement lors d'un concours hippique en province), mais inoubliable; quant à la fille de quinze ans, jamais personne ne m'a donné autant de plaisir, jamais je n'ai eu d'élève aussi douée. Au début, elle ne savait rien, mais son innocence n'avait d'égale que sa curiosité, et cet amalgame d'ingénuité et de complaisance était d'un voluptueux infini. Très vite, elle fut une amante fantastique, se livrant à des caresses, se prêtant à des postures que jusqu'alors nulle ne m'avait prodiguées, auxquelles nulle ne s'était abandonnée. Une femme de vingt-cinq ans a ses pudeurs, ses répugnances, ses habitudes. Une adolescente, tout lui semble naturel, car tout lui est nouveau. Ce n'est pas mon cher Casanova qui me contredirait, dont les maîtresses de treize ans ou quatorze ans ne se comptaient pas, et qui un jour s'est fait tailler une délicieuse pipe à travers la grille du parloir d'un couvent (ça, chapeau! faut l'faire!) par une pensionnaire âgée de onze ans."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 65-66.

Est-il besoin de commenter?
Visiblement, Matzneff confond désir et délire. Réaliser le fantasme de toute-puissance de l'individu, telle est la vraie perversion. Pourquoi bénéficie-t-elle de tels appuis, d'autant de soutiens?

Sans commentaire 13

"Lorsque vous avez tenu dans vos bras, baisé, caressé, possédé un garçon de treize ans, une fille de quinze ans, tout le reste vous paraît fade, lourd, insipide."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 63.

Sans commentaire...

Sans commentaire 12

"Je ne suis pas un pédagogue. Pourtant, je sais que les jeunes êtres avec qui j'ai eu une liaison un peu suivie en sont sortis plus heureux, plus libres, plus réalisés au sens que l'Inde donne à ce mot.
Aimer un gosse n'a de sens que si cet amour l'aide à s'épanouir, à s'accomplir, à devenir pleinement soi-même, à faire voler en éclats les barreaux de la cage familiale, à repousser d'une main légère les faux devoirs auxquels la société prétend l'assujettir. Notre amour ne doit pas être un amour vampirique, égoïste, qui subjugue, étouffe, l'amour du loup pour l'agneau; il doit au contraire, cet amour, être un amour qui féconde, libère, "donne la vie", tel l'Esprit-Saint dans la prière byzantine."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 59-60.

Sans commentaire...

Sans commentaire 11

"Selon Lucien de Samosate, dans l'île des Bienheureux, "les petits garçons accordent tout ce qu'on désire et ne se refusent jamais à rien."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 58.

Dans le paradis des pédophiles, peut-être, Matzneff...
Dans le réel, sans commentaire!

Sans commentaire 10

"Une fille de quinze ans, elle, exige tout de l'homme qui l'a éveillée à l'amour, car elle ne vit que par lui, elle se montre possessive et jalouse, elle supporte mal qu'il ne soit pas en permanence à sa disposition, qu'il voie d'autres gens, qu'il reçoive du courrier, des coups de téléphone, qu'il accepte des invitations à dîner (même si le soir elle doit de toute manière rentrer chez papa-maman)."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 53.

Sans commentaire...

samedi 14 juillet 2007

Sans commentaire 9

"Détacher un gosse de soi est parfois plus difficile que de se l'attacher. Une femme, à la rigueur, on la prend, puis on la jette; mais c'est un jeu qu'à moins d'être un salaud on doit s'interdire avec les très jeunes."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 52.

Ce pourrait être sans commentaire.
On m'autorisera à remarquer que :
1) cette citation mériterait d'être envoyée à Savigneau, la féministe à courte cervelle et bras long. Elle réussira sans doute à transmuter sa honte en impudence pour donner quelques gages à son protégé Matzneff.
2) les pervers se réclament toujours de la morale pour accomplir leurs forfaits. Diantre! J'en appelle à tous les esprits éclairés! Matzneff serait-il devenu - moraliste?

Sans commentaire 8

"Dans mes affaires de coeur, j'ai toujours en mémoire la réponse d'Aristippe à un ami qui lui représentait que la belle courtisane Laïs, qui était sa maîtresse, ne l'aimait pas : "Ni le poisson ni le vin n'ont de l'amour pour moi, et néanmoins j'use avec plaisir de l'un et de l'autre."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 51-52.

Commentaire superflu.
1) Se pourrait-il qu'à la différence du poisson (inanimé) et du vin, l'enfant soit un vivant doué de sentiments - et non un objet?
2) La métaphore du manger est un aveu éclatant : Matzneff consomme les moins de seize ans comme du poisson et du vin, il leur destine le même sort que son corps à l'aliment ingéré : la destruction et la transformation...
3) Autre aveu, décisif : Matzneff confirme bien que le seul sentiment qui le meut est l'exclusivité de sa personne. La reconnaissance de l'altérité lui est étrangère, sauf quand elle concourt à son plaisir (sexuel). C'est l'indice que le plaisir (sexuel) n'appartient pas à l'individualité, mais s'impose comme dépossession et dotation ontologiques (ce à quoi le pervers s'oppose). Merveilleuse définition de la perversité!

Sans commentaire 7

"S'il y a un âge où un garçon a soif de contacts sexuels, c'est l'adolescence. La société adulte n'a aucun droit de lui interdire d'étancher cette soif. Comme l'écrit Alexandre Neill dans Libres enfants à Summerhill "je ne connais aucun argument contre la liberté sexuelle des adolescents qui mérite d'être retenu. Presque tous sont basés sur une émotivité refoulée et une haine de la vie."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 45-46.

Désolé, moi, je connais quelques droits d'interdire, et ceci au nom de la liberté bien comprise.
1) La découverte des contacts sexuels mérite d'être encadrée, puisqu'elle se trouve en phase d'apprentissage.
2) Justement, il faudrait être particulièrement pervers pour estimer que cet apprentissage doit être dispensé par un pédagogue aux méthodes compulsives et à l'âge aussi distant - le pédophile.

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"J'ai toujours eu un faible pour les ogres."
"Dans cette chronique, non recueillie en volume pour l'instant, je soutenais que les crimes supposés des "monstres de Chester" (ainsi titraient les gazettes) étaient une bagatelle à comparaison du génocide dont les États-Unis se rendaient coupables au Viêt-Nam."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 43.

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Quoique. On m'en permettra un petit.
Le raisonnement pervers est un modèle du genre pour opérer la diversion et instiller le doute dans l'échelle des valeurs. Un viol n'est-il pas bagatelle en comparaison d'un génocide? Faut-il rappeler aux oreilles des gens de mauvaise foi que le monstrueux est, toujours, monstrueux?

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"Et puis quoi, chacun donne ce qu'il a : l'oiseau son chant, la fleur son parfum, le créateur son oeuvre, la cuisinière ses bons petits plats, le sage vieillard sa sagesse, le riche son argent, le bel enfant sa beauté. En outre, si violence il y a, la violence du billet de banque qu'on glisse dans le poche d'un jean ou d'une culotte (courte) est malgré tout une douce violence. Il ne faut pas charrier. On a vu pire."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 42.

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"Voilà cinquante ans que le mot de Freud sur l'enfant "pervers polymorphe" traîne partout; et voilà des siècles qu'Aristote a mis l'accent sur l'extrême lascivité des enfants impubères ou à peine pubères. Néanmoins, dans un couple enfant-aîné, c'est toujours l'aîné qui aux yeux de la société fait figure de séducteur et l'enfant de "victime". Or, n'importe quelle personne qui aime les gosses peut témoigner qu'ils draguent ferme ou (ce qui revient au même) excellent dans l'art de se faire draguer. J'ai dragué beaucoup de moins de seize ans, mais beaucoup de moins de seize ans m'ont dragué. Tout récemment encore (j'avais déjà commencé d'écrire ce livre) je me suis fait aborder rue Gay-Lussac, à Paris, par un mômichon d'une douzaine d'années qui avait peut-être envie que je lui paye le ciné, mais qui avait surtout envie d'autre chose. Il y a des gosses qui sont très sages, c'est exact, mais il y a aussi des gosses qui sont très putes."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 39.

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Euh, finalement, si.
1) Polac se serait-il inspiré de Matzneff pour composer certains passages de son impérissable Journal?
2) On remarquera que l'argument pour légitimer la pédophilie (certains gosses seraient consentants) est le même utilisé pour la prostitution et, d'une manière générale, pour la violence insidieuse, à partir du moment où il s'agit d'établir la distinction entre contrainte/violence et consentement/différence/liberté. Les tenants du réglementarisme en matière de prostitution utiliserait-il, au niveau du raisonnement, la même perversité que les apologètes de la pédophilie?

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"Les adultes qui n'aiment pas les enfants ne supportent pas que les enfants soient aimés par ceux qui les aiment. Un enfant ne peut disposer ni de son coeur, ni de son corps, ni de son amour, ni de ses baisers. Un enfant appartient à ses parents et à ses maîtres."
Matzneff, Les Moins de seize ans, p. 39.

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"Tout désir d'éduquer est désir pédérastique perverti."
René Scherrer, Émile perverti, cité in Les Moins de seize ans, Matzneff, p.30.

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Que les pédophiles soient des malades, des détraqués qui méritent assistance plus que châtiment est une idée tout à fait valable. Les vrais responsables sont ces décervelés qui font acte d'intelligence dans l'exacte mesure où ils participent du nihilisme de l'époque et légitiment les pires perversions. Qu'on en juge.

"D'où l'utilité des subterfuges pédagogiques. Je l'ai dit, ce fut alentour de ma dix-huitième année que je commençai à m'intéresser aux mouvements de jeunesse dont je m'étais jusqu'alors tenu à l'écart. Evidemment, je ne devins pas chef de quoi que ce fût, j'aimais trop ma liberté, mais je posai des jalons : je me liai avec un type qui dirigeait une manécanterie, je fis la connaissance d'un moniteur qui m'invita aux camps de Pâques et d'été qu'il organisait pour les adolescents de son association, je pratiquai plus assidûment que jadis les milieux de l'émigration russe qui sont une pépinière de jeunes (c'est dans un congrès de la jeunesse orthodoxe que je devais rencontrer la lycéenne qui allait devenir ma femme), j'obtins même d'un de mes amis, gros bonnet d'un mouvement scout, une carte de membre. De membre actif, il va sans dire."
Les Moins de seize ans, Matzneff, p. 82-83.

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vendredi 13 juillet 2007

Opération Manipulation

Que s'est-il passé pour que les intellectuels nantis, cooptés par le pouvoir, ceux qui sont reconnus par le système comme leurs meilleurs agents, les meilleurs outils de la propagande démocratico-libérale, se mettent à valoriser sérieusement, c'est-à-dire servilement, le marquis de Sade ou Matzneff, bref tous les pervers qui se font passer pour des artistes avec plus ou moins de fumisterie consentie? Pour Sade, la cause est discutable : le Divin Marquis mérite peut-être son titre du fait de son style, même si les inepties qu'il trimballe relèvent du délire grotesque. Quant à Matzneff, il est indéfendable et il en est fier. Ce sous-Gide très parisien est persuadé que la production de soufre et de stupre suffit à faire un écrivain. Résultat des courses : plus on s'avoue pervers, plus on est artiste. Avec ce corolaire terrifiant : il faut être un monstre pour faire du grand art. Matzneff et ses acolytes devraient commettre un recueil : De l'art de la supercherie, sous la direction de Gabriel Matzneff. Le titre indiquerait assez bien les raisons profondes qui expliquent pourquoi la démocratie promeut de tels individus (dont les ennuis sont insignifiants en comparaison de leurs crimes effectifs). Au nom de la démocratie, de la liberté et de quelques autre valeurs glorieuses et nobles, c'est l'hypocrisie qui agite surtout son étendard d'épouvantail et qui autorise la légitimation de la violence sous l'excuse de la libération. Pour que le système dominant autorise certains esprits détraqués à vanter les mérites des plus funestes passions, c'est que le système y trouve (aussi) son compte. Les écrivains à succès, à la mode et à la botte, leurs indicateurs littéraires et absolument navrants de médiocrité repue ont toujours été les girouettes du pouvoir et ses porte-paroles attitrés. Ce n'est pas la réhabilitation sournoise de la pédophilie que réclame le pouvoir. Tant s'en faut. Il préfère fermer les yeux sur les agissements de certains puissants, affaire veille comme le monde. Non, le pouvoir trouve son contentement dans la confusion entre liberté et totalitarisme. En démocratie, la limite de la tolérance s'arrête à l'intolérance. Notre démocratie est rance et promet d'être errance dans la mesure où elle est fondée sur sa récupération idéologique à des fins totalitaires. L'ultralibéralisme n'est jamais que l'idéologie aux mille myriades servant de prétexte (sous le doux nom déclaré de liberté) pour que la violence trouve son contentement et que quelques élites dominent le monde. Evidemment, cette situation biaisée nécessite, pour être promue, que des intermédiaires moutonniers, creux et médiocres servent de relais. Dans le monde intellectualo-culturo-mondain, ceux qui tiennent le haut de la rampe (ou le micro) occupent cette fonction. Comme ils n'ont rien à dire et qu'ils sont les mimes de la farce (sinistre), ils ont inventé la transgression et la perversion comme rempart à leur vacuité. Mentir par la baise biaise mieux que les grandes envolées philosophiques pompeuses. En plus, c'est plus facile et moins éreintant que de se branler le cerveau. Voilà pourquoi le culte de Sade, de la porn attitude, de la prostitution, du SM et de toutes les perversion sexuelles trouve sa place dans le circuit médiatique et le cirque officiel. Le sexe constitue l'excuse idéale pour légitimer la décadence et empêcher l'exercice de la critique. Pendant que les vendus branchés et corrompus nous vantent l'épanouissement du plaisir sexuel, la gaudriole irréaliste et irréalisable, leurs inspirateurs, plus dans l'action que la déréliction-contemplation s'empressent d'engranger les bénéfices les plus matériels. Après nous, le Déluge, n'est-ce pas.

L'associé de l'adversaire

Matzneff n'a pas de mots assez durs pour stigmatiser les assassins d'enfants, les Dutroux et autres Émile Louis. Les ogres des contes. Tout juste en profite-t-il pour se distinguer d'eux. Eux ce sont les pédophobes. Horrible race de fauves et de prédateurs, dont la liberté revient à torturer, détruire et tuer? Si Matzneff se distingue de ces monstres, faut-il en déduire qu'il se réclame pédophile, soit l'ami des enfants, celui qui leur rapporte bien-être et tendresse - tout l'inverse, en vérité, d'un pédophobe? Encore une illustration de la perversité de Matzneff. Sa distinction lui permet de réhabiliter insidieusement la pédophilie, dont on remarquera que la langue populaire avait vu clair dans les manigances : le pédophile est celui qui prétend aimer les enfants. Il est vrai que l'insidieux est le royaume du pervers, Matzneff son porte-parole famélique. Qu'on en juge : Matzneff distingue entre ceux qui violent et assassinent la jeunesse et ceux qui couchent avec cette même jeunesse après avoir obtenu son plein consentement. N'en déplaise à Matzneff et au fonctionnement détraqué de son cerveau, c'est blanc bonnet et bonnet blanc. Il est indubitable qu'un pervers qui torture des gosses ajoute l'irréparable à l'irréparable. Mais qu'aurait-on dit si Dutroux s'était contenté de coucher avec ses jeunes proies? S'il ne les avait ni séquestrées, ni violées, ni violentées? Qu'il était un sympathique personnage? La torture s'ajoute à la pédophilie comme elle s'ajouterait au meurtre : comme un surplus de monstruosité, certainement pas comme la monstruosité. Matzneff espère entretenir la confusion entre violence explicite et violence insidieuse. Je ne suis pas certain que le fonctionnement d'un Dutroux n'obéisse pas davantage à des pulsions compulsives et homicides répétées qu'à la perversion véritable. Je réserverais ce terme pour des esprits libres de l'acabit de Matzneff. Des individus capables de jouer avec les lois, les normes, de se tenir à carreau, à la lisière des limites, d'instiller le doute et le soupçon, de demander si le gris clair appartient au blanc ou le gris foncé ressortit du noir. Dans ce rôle de monstre, Matzneff s'accomplit comme un poisson dans l'eau. Je n'aurais pas de mots assez durs pour stigmatiser un homme qui s'occupe de pareilles distinctions. Distinguer entre un pédophile et un pédophobe pour mieux réhabiliter la pédophilie! Le diable aurait-il assailli l'esprit de Matzneff pour lui souffler de telles billevesées et l'affranchir des sentiments, de la honte et de l'impudence? En tout cas, c'est la honte du milieu littéraire, son étoile jaune, et plus particulièrement de ceux qui l'ont soutenu, que d'avoir participé à ces jeux morbides, dont le but est de discréditer la vérité pour instiller, en lieu et place, non une norme plus fiable, mais le mensonge et la vanité. Verdict : abject et lamentable.

L'impair du pervers

La citation précédente de Matzneff m'interpelle en ce qu'il opère un coup de force imprenable. Après avoir posé une question concernant les artistes, notre pervers emblématique n'hésite pas à affirmer, haut et fort : "Nous". Encore un retournement de sens, dont on remarquera qu'il n'est pas anodin! Tout au contraire conforte-t-il le narcissisme et l'égocentrisme étriqué de notre auteur national. Qu'on se le dise, qu'on se le répète, Matzneff est un Artiste. Revendiqué et Naturel. Authentique et Majeur. Dont l'un des principaux arguments est que la postérité le vengera de l'incompréhension de ses contemporains. Faut-il être assez raffiné dans son délire pour chercher et trouver de pareils arguments? Point n'est besoin : il suffit de constater que Matzneff pose, comme son éditeur, comme tant d'autres, pour l'invérifiable postérité. C'est d'ailleurs leur unique souci, leur seul motif de préoccupations, l'invérifiable. Et pour cause : l'incertain devient le certain. Comprendre Matzneff, son succès auprès de certains puissants des milieux culture-mondains, c'est intégrer la logique selon laquelle la perversion est emblématique de l'époque dans la mesure où elle fait la part belle à l'incertain. Ou plutôt : décrypter l'incertain, triompher de l'absence de fondements, c'est le travail du pervers. Voilà pourquoi son éloge peut commencer; voilà pourquoi il se targue d'être du côté des créateurs - et des meilleurs. La confusion entre le créateur et le pervers va si loin que les médiocres, comme Sollers ou Savigneau, sont considérés comme très intelligents et très importants, en vertu de la domination du nihilisme et de la transmutation perverse du néant en présence.

jeudi 12 juillet 2007

L'art sain

"Les artistes sont-ils au-dessus de la morale? Sommes-nous, par décret spécial de la Providence, affranchis des règles qui assujettissent le commun des mortels?
Ce ne sont pas des questions à poser, tant le mot "privilège" est de nos jours devenu pestifère.
Pourtant, dans la vie, tout est privilège : la naissance est un privilège, la beauté est un privilège, la santé est un privilège, le talent est un privilège."

Ces lignes édifiantes n'émanent pas d'un Dorante ou d'un Clitandre, aristocrates sortis de l'imagination de Molière et représentants caricaturaux de la force et de l'arbitraire. Elles sont extraites de l'article C'est la gloire, Pierre-François!, extraite du recueil éponyme. Un homme y découvre son totalitarisme viscéral et explique de manière implicite ses pratiques sexuelles destructrices. Matzneff, puisque c'est de cet artiste qu'il s'agit, serait tout à fait en droit de critiquer l'égalitarisme ou de dresser l'apologie de la méritocratie. Tout au contraire, notre bonhomme croit supérieur, fin et cultivé de tresser les lauriers de l'inné, débat très à la mode chez les néoconservateurs (ah, l'éternel retour des modes!). Bref, Matzneff, cet homme de gauche, à condition qu'on ne touche pas à sa personne, réhabilite le droit du plus fort au nom des inégalités de naissance. La perversion du raisonnement consiste à confondre le talent de l'artiste, qu'il ne s'agit certainement pas de persécuter, ni d'envoyer dans des camps de redressement, avec la réhabilitation de la pédophilie au nom de l'art. L'argutie est particulièrement odieuse et tordue : on ne voit pas bien en quoi un artiste devrait être pédophile pour être pleinement artiste, pas davantage qu'il faudrait accepter la différence pédophile pour être libre et intelligent. L'intelligence, venons-y. Notre poseur fumeux, qui aimerait tant être fameux, a trouvé la parade imparable contre les critiques à l'encontre de ses moeurs (et non de son art) : elles émanent d'esprits obtus, bornés, dont la bêtise n'aurait d'égal que le moralisme étriqué. Bref, la violence émanerait plutôt de ces vertueux pharisiens que de leurs innocentes, intelligentes et incomprises victimes. La persécution contre Matzneff serait persécution contre la supériorité et contre le génie. Matzneff réclame un passe-droit au nom de la Nature. Selon ses critères très subjectifs, qui n'arrangent jamais que sa petite personne, son petit narcissisme, le talent autorise tout, y compris et surtout l'exercice de la violence et de la destruction. Vivre sous régime exceptionnel, c'est ce que réclame Matzneff. Vivre, non par-delà bien et mal, mais au-dessus du bien et du mal, comme un Artiste, coincé entre les dieux et les héros. On sent bien que Matzneff, au nom de l'artiste condition, aimerait être le propre créateur de ses lois. C'est d'ailleurs peut-être l'exigence secrète de son désir, l'aiguillon impétueux de son fantasme inavouable. Ne pas référer à la société de ses moeurs, du moment que ses propres valeurs sont supérieures et insondables pour le commun. Le vice de Matzneff réside dans son affranchissement feint. Car au-delà du délire de son désir, force est de constater qu'il prend son public à témoin, comme s'il ne pouvait se délivrer de sa conscience morale. L'homme supérieur qui crée et demeure incompris du vulgaire, fort bien; encore est-on en droit d'attendre de ce créateur qu'il ne soit pas surtout et avant tout destructeur. Pour appartenir à la clique des nihilistes travestis, Matzneff est un traître qui connaît trop son larcin et y cherche un dérivatif et un exutoire. Ce n'est, heureusement, ni l'écriture, ni l'art qui le lui offriront! Contrairement aux jeux de séduction qu'il intente sur ses jeunes proies, la supercherie n'a pas fonctionné, la confusion est démasquée : l'artiste, Dieu merci, n'est certainement pas un pervers. Ce n'est pas demain que le mensonge supplantera la réalité.

mercredi 11 juillet 2007

Faucon

"La prison française n'est pas aussi terrible qu'on le dit, même si elle n'est pas parfaite".
Philippe Goasguen, dans l'émission On n'est pas couché.

Le pédophile et la mort

Dans ses Soleils révolus, le lundi 3 mai 1982, à la page 460-461, Matzneff note : "Je suis irritable et irrité, fatigué des autres, fatigué de moi-même, fatigué de vivre. Pourtant j'aime la vie, quand elle a le visage de mes jeunes amantes, mais je me sens vieux, et totalement désespéré.
Mes livres sont mes juges et mes bourreaux. Ah! partir pour les Philippines, à jamais, comme Rimbaud pour l'Afrique, ne plus jamais publier une ligne, ne plus jamais voir que des êtres à qui mon nom ne dit rien, qui n'ont pas de stupides jugements a priori sur moi! Quel repos!
Mais le plus sûr des repos sera encore la mort."

Matzneff est au moins d'une honnêteté scrupuleuse en (dé)livrant un témoignage éloquent sur sa conception de l'existence. Matzneff n'est pas cet homme épanoui, qui aurait accédé à une manière de vivre supérieure et différente, que le commun des mortels condamne parce qu'il n'est pas capable de comprendre - un peu comme le fou marginalisé par la foule du fait de sa sagesse incomprise. Pas davantage Matzneff ne témoigne-t-il de ses coups de blues passagers - ce que tout un chacun expérimente à son corps défendant, ainsi que Pascal l'a justement noté. Des passages de cet acabit se recueillent à foison dans le journal, où les envies de suicide succèdent à la répétition des scènes érotiques. Matzneff le proclame lui-même à qui veut l'entendre, ses aventures avec de très jeunes femmes sont le rempart à ses pulsions suicidaires. La quête pathologique de la jeunesse est d'essence morbide. Le vieux accède à la jeunesse éternelle en couchant avec des jeunes. On sait que Matzneff ne se contente pas de jeunes femmes et qu'il revendique lui-même des aventures pédophiles répétées. C'est la révélation, Gabriel! La pédophilie révèle en effet qu'elle n'est jamais que la réponse désespérée à la vieillesse et la mort. C'est en couchant avec des (très) jeunes que le pédophile estime baiser la vie. Quand il ne dispose plus de cet échappatoire terrible, qui ressortit de l'expression : baiser la camarde (car baiser la jeunesse ferait plus vieillir prématurément que rajeunir), son humeur de fond ressurgit derrière le masque du plaisir, de l'hédonisme débridé et de la différence arrogante et élitiste. Le suicide ou la pédophilie : la pratique pédophile correspondrait-elle à l'ultime tentative pour éviter le suicide - en donnant symboliquement la mort au crime parfait de la vie, cette jeunesse provocante qui s'échappe et qui vieillit? Dans tous les cas, la morbidité atteint son niveau maximal dans la mesure où elle est le refus de la mort. Ce refus de la mort, qui est le mal courant de l'homme, s'avère exacerbé dans le cas des perversions singulièrement sexuelles. La mort est l'événement le plus inacceptable pour le vivant. La perversion consiste à refuser la condition du vivant et la finitude. Prêt à tout pour échapper à la promesse inévitable de sa disparition, il peut en venir à la pédophilie quand le scandale suprême pour sa conscience est de vieillir. Le pédophile n'accepte pas la défaillance du sens là où elle se révèle la plus cruciale et primordiale : ne pas expliquer la mort est le véritable scandale. Du coup, il se venge sur le bouc émissaire désigné et idéal, le jeune qui doit payer de son avantage tant qu'il en est pourvu et tant qu'il peut encore payer (double victime, dans la mesure où l'agression s'opère sur une qualité provisoire et illusoire). On comprend pourquoi le pédophile ne saurait changer, sauf cas exceptionnel, voire s'amender, c'est-à-dire accéder à la monstruosité de son acte. Pour que le pervers ne justifie pas l'injustifiable (et tout peut se justifier, le meilleur comme le pire, Matzneff en offre le témoignage éloquent), il faudrait qu'on lui explique la mort. Rien à redire : la mission est vraiment impossible. Notre pédophile se sent ainsi suicidaire et insomniaque pour ne pas accepter ce que l'homme du vulgaire, celui qu'il méprise par ressentiment (le plus puissant au sens nietzschéen), digère tant bien que mal : l'avènement de la mort - qu'il travestit en procession érotique du plaisir. Le plaisir comme rempart à la mort? Plus que cette erreur d'aiguillage : le plaisir en tant que symptôme de mort (on se rappellera du poème de Marbeuf et de la polyphonie amour/mort). D'ailleurs, l'excès de souffrance consiste bien à refuser l'avant-goût de la mort. Voilà pourquoi l'homme ne couche ni avec ses enfants, ni n'(ab)use des plus jeunes pousses : c'est même le fondement de sa morale, ainsi, notamment, que le Lévitique l'enseigne.

mardi 10 juillet 2007

L'enfant

Matzneff, selon son témoignage, ne se contente pas, au meilleur de sa forme de quadragénaire, de collectionner les jeunes pousses lycéennes comme d'autres entomologisent les papillons ou les libellules. Il associe à sa tromperie systématique le refus du couple et de l'enfantement. Rien à redire sur la liberté effective de moeurs dont jouit l'individu - à condition, bien entendu, que la liberté ne se confonde pas avec son principe antagoniste. Sauf que, selon le raisonnement de Matzneff, l'enfantement signifie la mort. Pour échapper à la vieillesse, rien de telle qu'une cure de jouvence sexuelle. Le vieillissement tient dans l'acceptation des conditions de vie biologiques, auxquelles l'homme se trouve soumis. Le pédophile est ce pervers qui refuse les conditions de vie pour mieux se soustraire à l'empire et l'emprise de la mort. Ce faisant, il commet l'erreur tragique en croyant s'en défaire. Le sens dessus dessous aboutit à l'illusion. Ce qu'ignore le pédophile, c'est que le seul moyen d'échapper à la mort est d'accepter l'humaine condition - soit de transmettre la vie. La pire des condamnations à mort équivaut au refus des conditions de vie. La course effrénée contre le temps, la mort, la vieillesse et la maladie que le pédophile intente est une course perdue d'avance, un procès contre Dieu. Pour échapper le plus longtemps possible à son verdict implacable, le pédophile use d'un stratagème qu'il estime, dans sa grande folie, ingénieux : accéder à l'éternité en refusant l'enfantement. L'ironie la plus cruelle qui le cueille au tournant de sa ruse pitoyable et puérile : l'éternité, soit la négation du temps, se révèle l'exacte reconstitution de la damnation, l'emprisonnement dans l'antithèse impossible du devenir. En enfantant, l'homme accède au secret du devenir et assure la permanence du réel. En se rebellant, tel un ange déchu, contre cette loi qui le dépasse heureusement, le pédophile joue à qui perd gagne. Il ne faut pas s'étonner que Matzneff et sa joyeuse bande de drilles séducteurs correspondent tous à des dépressifs et des nihilistes. Ce n'est pas que l'époque soit pédophile, c'est qu'elle incarne cette jeunesse frelatée dont le poison contient et promet l'âcre goût du refus de la mort.

L'Eternelle Jeunesse

Il se pourrait que toute perversité consiste à réfuter le réel au profit du même. En ce cas, la pédophilie est perversion en tant qu'elle exprime le refus du temps et du devenir. En lisant Matzneff, il est curieux que ce quadragénaire n'éprouve de joie et de jouissance, qu'il considère d'ailleurs comme intarissable, qu'à partir du moment où il ramène sa sexualité au fantasme bien connu des prospecteurs de l'imaginaire : remonter dans le temps. En couchant avec des jeunes ou avec des enfants, le pédophile prend son pied parce qu'il est persuadé d'abolir l'écoulement du temps et d'avoir trouvé le moyen d'échapper à la vieillesse et la mort. Où la conscience majoritaire trouve monstrueux d'abolir le temps, parce qu'elle ne sait que trop qu'on n'échappe pas au tragique, le pédophile est le détraqué sexuel qui croit naïvement qu'en goûtant à la virginité sexuelle et identitaire de la jeunesse, il échappera aux affres de la vieillesse et s'installera dans l'Eternelle Jeunesse.

Le vierge âge jeune

Matzneff ne contracte de plaisir qu'en procédant à un retour dans le temps, avec des partenaires jeunes (lycéennes) ou extrêmement jeunes (garçons ou filles d'une dizaine d'années à peine). Cette manière de localiser l'Age d'Or suppose déjà un fort besoin d'adhérer à cet Age d'Or. Il existe bien, je l'ai rencontré. Le pédophile (à des degrés divers) n'est jamais qu'un négateur de temps. Comme si le temps ne s'écoulait plus avec ces relations nombreuses et comme si le pédophile accédait à l'extrême jeunesse en satisfaisant à ce besoin de relations. Là n'est pas l'essentiel : ce qui me frappe le plus, c'est l'obsession de la virginité. La virginité sexuelle renvoie au fondement introuvable. La vierge exprime la pureté de ce qui n'a pas été souillé. Accéder au réel pur, c'est passer du sensible à l'idéal, conférer à la sexualité, non plus une dimension de chute et de péché, mais d'élévation et de transcendance. Voilà pourquoi Matzneff se trouve contraint de répéter à l'infini son geste de pédophile, avec l'illusion à chaque fois d'approcher de la virginité ontologique et de l'élévation spirituelle. Par définition, la quête de Matzneff est illusoire : la sexualité vous installe dans le réel et le sensible, plus qu'elle ne vous en sort. La répétition indéfinie du même suffit à prouver le caractère utopique du même. Matzneff ne peut que répéter dans la mesure où il passe à côté. Son geste compulsif est celui d'un échec qui voudrait passer pour une victoire. C'est en quoi la perversion de Matzneff se différencie aussi de la pédophilie violente et homicide qu'il stigmatise. C'est pour vouloir retourner intellectuellement le sens que Matzneff en vient à légitimer le monstrueux, sans qu'aucune pulsion insurmontable ne le pousse à accomplir son crime pathologique. En retournant le sens, Matzneff escompte fonder l'idéal. Il ne fait qu'aviver son spleen.

dimanche 8 juillet 2007

Chute...

Curieuse manière, chez Raufer, de prétendre qu'il ne méprise personne, lui, le professeur, alors que c'est précisément le penchant auquel il est en train de se livrer. Curieuse et - incurable manie. Impayable arrogance que de livrer des jugements qui n'appellent jamais, une fois de plus, que le mécanisme de la projection. C'est pourtant l'un des tics psychologiques de tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ressortissent de l'élite démocratique, en particulier quand cette élite se situe dans la sphère intellectuelle. Pour prouver votre intelligence, faites preuve d'arrogance. La démocratie effective patientera. Tel pourrait être le slogan des frustrés qui nourrissent le besoin de se sentir au-dessus des autres pour cultiver leur appétit de domination stérile. Cette propension, qui est loin de n'être que le cas de Raufer (que je juge ici sur son apparition télévisuelle et ses réponses présentes, cependant remarquablement cohérentes dans leur ton et leur unité), est inquiétante pour la démocratie. Au-delà de sa portée psychologique, qui révèle le vide de ceux se sentant obligés de compenser par l'apparence de la certitude, c'est la portée manipulatrice qui livre le diagnostic de la modernité. On se rappellera chez Molière la peinture de ces aristocrates et savants inconséquents prétendant déduire leur statut social d'introuvables fondements identitaires. Je préfère encore Dom Juan à Dorante. Plus de franchise et moins d'imposture. Non seulement Molière avait vu juste, mais j'ai bien peur que la période trouble que nous vivons avive les penchants au camouflage. Le règne des spécialistes pourrait se heurter à la sagesse de Montaigne, rappelant à quel point il se défie finalement des savants. Nos savants contemporains ne sont nullement indépendants de la mentalité de l'époque. Tout au contraire en reprennent-ils les postulats l'air de rien, comme si rien ne s'était passé. Les conclusions logiques auxquelles ils se livrent par la suite sont d'autant plus accidentelles et brillantes qu'elles ont le mérite d'occulter l'essentiel. Quel est cet essentiel travesti et tu? C'est que la modernité obéit au mécanisme de la réduction ontologique pour affirmer haut et fort qu'elle est parvenue à la vérité. L'apologie ethnocentrique de la rationalité joue ce rôle à merveille. Dans tous les cas, l'Hyperréel élude le réel au profit du désir et du monde de l'homme. C'est seulement ce que j'ai voulu rappeler en constatant que le parcours, les idées et les méthodes de Raufer se revendiquaient d'autant plus du réel, de l'objectivité, des faits, de la vérité, de la science criminologique que la démarche était celle d'un spécialiste occultant le problème du dialogue, du jugement, de la critique et de l'évaluation (bref, de la vraie pensée). Qu'on le veuille ou non, le savoir ne remplace pas la pensée - fantasme dérisoire et démesuré de la modernité scientiste (dont le scientisme consiste à se revendiquer postmoderne ou relativiste). Sur le point de l'ultralibéralisme et de l'idéologie des néoconservateurs, qui comporte de multiples différenciations, il est fascinant de constater :
1) qu'elle allie le fantasme de la liberté débridée, donc totalitaire, avec la revendication sécuritaire. Ce paradoxe apparent n'en est pas un, puisque la liberté de tout faire ressortit de la violence et rejoint les attentes d'ordre, de force et de mépris de la pauvreté (le pauvre est culpabilisé comme un looser quasi empreint de péché originel).
2) que l'ultralibéralisme mondialisé, qui prend des visages assez différents, suivant qu'il opère en territoire anglo-saxon ou en terre contestataire, comme c'est la cas de la France, est en contradiction manifeste avec le libéralisme classique, sur un point majeur au moins : le libéralisme prétendait régenter la sphère du politique économique et n'être qu'une philosophie pragmatique à portée limitée; l'ultralibéralisme étend les propositions du libéralisme à l'ensemble des activités humaines, si bien qu'il en vient à opérer par la force insidieuse le mécanisme de la réduction.
3) le fait que nombre d'anciens militants de groupuscules d'extrême-droite et d'intellectuels de l'extrême-droite se soient recasés, suite à des parcours brillants, complexes et fort dissemblables, avec une constante remarquable, dans l'entourage de Sarkozy, laisse songeur : non que Sarkozy soit tributaire des coutumières insultes portées contre l'extrême-droite, mais qu'il ne soit jamais que le pion français d'une stratégie internationale où la force avance masquée derrière les prérogatives de la liberté et de la démocratie. Il n'y a pas que les faucons américains pour instiller le soupçon d'une manipulation de la démocratie à des fins totalitaires. Malheureusement, l'ultralibéralisme possède ses entrées et ses ramifications au sein de la gauche et du progressisme déclarés. Si bien que le seul moyen d'interroger les véritables conceptions politiques des acteurs du champ politique revient encore à sonder leur définition de la liberté. Dis-moi comment tu es libre et je te dirai qui tu es.
4) dans le cas du criminologue Raufer, il m'apparaissait insupportable qu'un spécialiste, au nom des faits, assène des postulats aussi contestables sur l'homme et la politique, comme si, en somme, l'émergence de la violence gratuite chez les 16-18 ans ne répondait pas à la violence ultralibérale. En outre, il m'apparaissait intéressant que l'ultralibéralisme français (soit un nécessaire composé de libéralisme progressiste, de force, de sécurité) intègre en matière de justice et de criminalité des raisonnements qui mettent en avant la part du donné irréfragable, comme si le seul moyen de le traiter revenait à user de la force. La métaphore des fauves est assez éclatante pour n'appeler point d'autres arguments.
5) Cette curieuse propension qu'ont les élites d'évaluer avec aigreur les contestations (quelle aberration que d'estimer que la rédaction d'une note non scolaire puisse équivaloir à un 4/20!; mais aussi quelle naïveté, comme si tout se réduisait à la production académique et au jugement formaté d'un professeur, aussi brillant fût-il) montre assez que le savoir prétend remplacer le jugement dans le principe de sa richesse même : l'absence de pensée prétend réduire l'effort de réflexion à sa propre démarche de formatage. Si bien que l'estimation par le savoir académique est nécessairement biaisée et toujours motivée par la compensation, voire la vengeance. Son but camoufle l'essentiel : il obéit à des impératifs d'objectivité, d'impartialité qui recèlent toujours la réduction du réel à ses bornes étriquées. L'académisme d'aujourd'hui est le chantre de l'Hyperréel. Comme héraut de l'intelligence, on est en droit d'attendre de plus féconds mythes...

samedi 7 juillet 2007

Un peu court, jeune homme...

Vifs échanges entre, notamment, le criminologue Raufer et Knobelspiess, ancien détenu (26 ans dans les prisons françaises, notamment pour hold up) dans le Ce soir ou jamais du mardi 20 juin 2007. Deux visions s'opposent, qui dépassent les seules lois Dati promises par le Président Sarkozy. D'un côté, Knobelspiess appartient à l'alternative gauchiste. De l'autre, Raufer est venu défendre le bien-fondé des lois Dati. Qui est Raufer? Selon la présentation de l'émission, "Xavier Raufer est enseignant à l’université de Paris II et à l’institut de criminologie de Paris. Ce criminologue s’intéresse depuis 1975 au terrorisme, à l’insécurité urbaine et au crime organisé. De son vrai nom Christian de Bongain, il a été militant d’extrême droite et membre d’Occident dans sa jeunesse, avant de revenir plus au centre de l’échiquier politique. Ses travaux et ouvrages se fondent sur des études de cas". Selon Wikipédia, "il fut épinglé par de nombreux chercheurs, voyant dans ses méthodes une contradiction avec les principes scientifiques. En effet, les sciences sociales devraient, selon le corps scientifique, permettre une vision la plus généralisable possible. Ses travaux se serviraient trop d'exemples particuliers (et non-généralisables), tendent à donner une vision catastrophiste de la réalité des ZUP". Wikipédia nous apprend que Raufer s'est dirigé vers la droite démocratique en participant au réseau Albertini. Quel est le dessein de ce recentrement politique? Qui est Albertini? Toujours selon Wikipédia, Albertini "se reconvertit à la propagande anticommuniste pendant la guerre froide et devient un conseiller influent sous la IVe et Ve République. Dans sa croisade contre le communisme, il fut servi par le mélange de peur et d'aveuglement qui régnait pendant la guerre froide, peur de la menace soviétique, d'un côté, aveuglement de ceux qui refusaient de voir les errements du système stalinien, de l'autre. Avec le soutien, financier notamment, des réseaux de la droite, et grâce à la réceptivité qu'il trouvait auprès des diverses sensibilités anticommunistes, il parvint à tisser sa toile. Sa technique policière de documentation, sa propension à démasquer le dessous des choses ou à dénoncer l'ennemi intérieur (par exemple, le Monde présenté, dans les années 50, comme un agent du Kremlin !) convenaient au climat de l'époque. Il devient également un conseiller très écouté de Georges Pompidou alors ministre sous De Gaulle et, lorsque Pompidou sera élu président de la république, Albertini conserve encore un grande influence sur ses deux conseillers, Marie-France Garaud et Pierre Juillet. Il collabore également avec ces derniers lorsqu'ils sont dans l'entourage de Jacques Chirac. Le monde politique sollicite ses conseils, jusqu'en 1981. Les grands patrons subventionnent ses activités. Il participe à l'Institut d'histoire sociale dont il est le trésorier. Il fut également l'un des mentors du jeune Alain Madelin." Madelin, tiens, tiens... Durant l'émission, Raufer fait preuve d'une morgue cassante à l'encontre de Knobelspiess. C'est ainsi qu'il rappellera qu'"être atteint de syphilis ne rend pas vénérologue". Plus grave, il n'hésitera pas à lancer à l'adresse de l'ancien détenu, il est vrai passablement confus et agressif lui aussi : "Le fait d'être un pitre..."; ou encore, à l'adresse de Taddeï : "Il peut arrêter de dire n'importe quoi?" Il est toujours gênant de constater le déchaînement du mépris, même quand il est justifié. Dans le cas de Raufer, sa condescendance s'expliquerait par le fait qu'il oppose des arguments fondés sur les faits et le réel à des fantasmes de romantique attardé et de démagogue inquiétant. Très sentencieux et professoral, Raufer rappelle ainsi que 6 à 7 % des gens condamnés sont concernés par la loi Dati, quelques milliers de cas à peine (agressions violentes, viols ou crimes). Entre 2000 et 2005, les cas de récidive grave ont augmenté de 145%. Les lois sont faites pour punir des fauves. S'ils ne veulent pas retourner en prison, ils n'ont qu'à ne pas recommencer. Comment Raufer passe-t-il des statistiques au jugement, puisqu'il faut bien que tout fait soit interprété dans le sens d'une conception générale de l'existence et du réel? C'est le noeud du problème. Car s'il est certain qu'être prisonnier ne rend pas pertinent sur les prisons, il est tout aussi certain qu'être criminologue ne rend pas philosophe. Qu'on écoute les présupposés que délivre le jugement de Raufer : "Quand les modèles de voitures changent, les outils changent." Avec Raufer, la vie est simple, à défaut d'être belle : la criminalité a changé - les lois doivent s'adapter. Et notre spécialiste de poursuivre dans son énumération scientifique (de nos jours, la science est un mime de vérité et la caution de toutes les idéologies un peu raides) : dans le cas de la récidive et des agressions graves, le basculement intervient entre 16 et 18 ans. Sur 100 actes criminels, la moitié sont commis par les mêmes minorités des mêmes endroits, des cités : 50 actes criminels sur 100 concernent 20 millions d'habitants sur les 60 que compte la population française. Les lois Dati sont par conséquent adaptées au réel et aux mutations de la société. Il s'agit bel et bien de prévention et de dissuasion. Là dessus, Knobelspiess, qui s'exprime mal, mais n'est certainement pas un imbécile, lance qu'il faut plus de justice économique pour que la justice sociale suive. Réponse immédiate et cinglante de Raufer, dont le complexe de supériorité est manifeste : "C'est absurde" (Jean Valjean expédié au bagne pour un pain, c'est grotesque). Il faut croire que le blason de l'universitaire, de l'expert et du scientifique laisse transparaître malgré tout quelques failles dans la carapace inexpugnable. C'est Chabrol qui s'y engouffre. Chabrol parle mieux que Knobelspiess. Surtout, il n'a pas envie de s'attirer les foudres de Raufer. Il souhaite juste mettre en lumière le raisonnement de Raufer. Chabrol a beau jeu de rappeler que le sens des lois ressortit d'une vision qui dépasse le simple cadre du juridique. Que fait-on d'un tigre humain dans la société humaine (ou d'un fauve, sans jouer sur les mots)? Réponse de Raufer : les nombreuses pratiques dans la réinsertion échouent parfois (hélas). Il faut régler l'échec des gens qui sont intraitables. L'être humain n'est pas un robot. Malheureusement. Je crains fort, bien que j'en aie l'intuition seule, que cette vision sous-tende le raisonnement des proches de Sarkozy. Cette manière de concevoir le réel nous vient notamment des USA (voir Giuliani à New York) et repose sur le postulat selon lequel les faits sont éternels et sont dénués de causes et de conséquences. Admirable raisonnement! La nature humaine est éternelle. Le nombre d'individus dangereux est potentiellement identique et doit être traité avec sévérité, seul moyen de libérer la société de ce fardeau étouffant et anxiogène. C'est un peu court : il faudrait savoir! Si la criminalité a évolué, c'est que la passe-partout nature humaine évolue elle aussi et s'adapte à son environnement. Raufer se révèle bien trop clair pour ne pas être simpliste. Il feint trop de croire que les faits ne cachent pas une vision de l'homme et du monde. Dans son cas, cette vision qui revient à la mode est une vision dure, très proche des néoconservateurs, selon laquelle la force seule triomphe de la violence. Désolé de le répéter, c'est une vision totalitaire qui s'exprime ici avec brio et science. Le savoir ne suffit pas. En voici encore une illustration. Il arrive même (souvent) qu'il occulte la faiblesse de la réflexion. En l'occurrence, il faudrait se demander pourquoi, dans nos sociétés qui sont si civilisées, la criminalité la plus violente, quasi gratuite, augmente aussi fortement, pourquoi la loi est contrainte de s'adapter à la hausse de la violence chez les mineurs. Peut-être serait-il temps de visionner Orange mécanique plutôt que de subir les dictats d'un criminologue sous pseudonyme comme d'autres avancent masqués? Je me demande si ces interrogations ne restent pas en jachère chez Raufer du fait de son parcours et de sa manière de penser. Etrange tout de même, cette appartenance passée à Occident, à l'extrême-droite nationaliste, anticommuniste, néofasciste, antilibérale (où l'on constate qu'il n'est pas du tout certain que l'ultralibéralisme soit la perpétuation cohérente du libéralisme), comme Madelin certes (ministre, député UDF, président de Démocratie libérale, puis député UMP), mais aussi comme Patrick Devedjian (maire d'Antony, député des Hauts-de-Seine et secrétaire général délégué de l'UMP), Gérard Longuet (ministre de l'Industrie et ancien président du Conseil régional de Lorraine). Deux éminents conseillers de Sarkozy issus d'Occident! Liste exhaustive? Accident de l'histoire? Qu'on en juge par cette liste sortie de Wikipédia : William Abitbol (futur conseiller de Charles Pasqua); Alain Baudry (éditeur universitaire); Jacques Bompard (ancien maire FN et actuel maire MPF d'Orange); Thierry Boutet (futur éditorialiste de l'hebdomadaire Famille chrétienne); Frédéric Brigaud, sculpteur, auteur de la plupart des affiches d'Occident; Dominique Chaboche (futur secrétaire général du FN); François Duprat; Pierre-Philippe Pasqua (fils de Charles Pasqua); Patrice Gélinet (futur directeur de France Culture); Jean-Jacques Guillet (futur député des Hauts-de-Seine); Claude Goasguen (futur député de Paris et l'un des porte-parole de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy); Hervé Novelli (futur député d'Indre-et-Loire); Gerald Penciolelli (futur directeur de Minute); Michel de Rostolan (futur dirigeant du CNI et député apparenté FN de l'Essonne); Dominique Venner (futur historien et directeur du bimensuel la Nouvelle Revue d'Histoire). Le moins qu'on puisse constater est que, sur les 1500 adhérents que comptait Occident en 1968 (selon Wikipédia), le nombre de ceux qui ont trouvé à se convertir à des postes prestigieux est impressionnant, sans que la liste soit exhaustive (je retrouve ainsi une citation de Didier Schuller : «Je suis entré à la Corpo de droit à Assas en 1964. J’étais un militant d’occasion qui fait le coup de poing. J’étais très Algérie française, mais si je ne suis pas allé à Occident, c’est que je ne voulais pas être le “juif” de ce mouvement. Je suis vite revenu vers des choses plus raisonnables, et en 1972, je suis entré dans les cabinets ministériels.»). Il est plus impressionnant encore d'observer que les brillants cadres d'Occident ont fourni une part non négligeable des conseillers de Sarkozy et des inspirateurs de sa politique (que j'estime ultralibérale). Curieux, dans la foulée, que tant d'anciens militants d'Occident se soient identifiés à l'ultralibéralisme et aux néoconservateurs... Le cas de Madelin est à cet égard le plus emblématique, mais nullement l'exception qui confirme la règle. Dans tous les cas, la violence prétend résoudre l'imperfection du monde. Que des idéologues comme Raufer (dont l'idéologie est prégnante dans l'exacte mesure où elle s'enorgueillit des atours du savoir et de l'objectivité) ressurgissent dans les grands médias ne répond nullement aux caprices du hasard, mais à la mentalité de l'époque et à l'influence de la mondialisation ultralibérale. Il est par ailleurs navrant de percevoir à quel point le raisonnement des plus influents se révèle aussi futile et fataliste, simpliste et naïf. C'est le signe que le monde de l'homme va mal et que la confusion de Knobelspiess s'accompagne malheureusement d'une certaine dose de vérité : les vraies racailles se situent davantage dans les milieux de l'Elite, des cols blancs et des influents qu'au sein de la population des déshérités et des pauvres, qui, comme chacun devrait le savoir, sont surtout les boucs émissaires de la politique de l'économisme triomphant.

Jugeant que la correction et le débat exigeaient que j'envoie cette note à Xavier Raufer, je l'ai contacté via son adresse e-mail. Voilà ce qu'il me répond :

"Que répondre ?
Un haussement d’épaules fera l’affaire.
Le flot de racontars que vous m’envoyez est faux à 99% - la seule fois où j’ai perdu du temps à poursuivre un élément de la (petite) meute des flics de la pensée, le calomniateur fut condamné suite à des attendus si sévères qu’il n’osa même pas aller en appel.
Sur 11 faits concrets qu’il me reprochait en effet... Les 11 étaient matériellement faux !
Que répondre à de pauvres types qui recopient à l’aveugle ce qu’ils trouvent dans les poubelles d’Internet, sans en rien vérifier, en dépit des règles minimales de décence et d’honnêteté ?
Et qui bien sûr, se croient intouchables, cachés derrière leur petit blog ?
Rien.
Qu’ils croient ce qu’ils veulent, si ça donne un semblant de sens à leur pauvre vie.
Vous trouverez ce que j’ai fait et fais sur www.xavier-raufer.com
Telle est ma carrière; telles sont mes œuvres.
Pour le reste; rien à expliquer – ni moins encore à justifier.
Bien à vous, XR."

Assez déçu par la menace implicite que contenait cette réponse, alors même que ma démarche répondait au dialogue et non à l'intimidation, je lui ai transmis mes regrets et mes peines. Je constate d'une manière plus générale que le dialogue laisse de plus en plus place à la judiciarisation de la société et que cette manière de concevoir la contradiction ne correspond pas au principe de l'échange et de la démocratie, qui veut que la Justice tranche quand le dialogue n'est plus possible. Tel n'était évidemment pas le cas.

"Monsieur,

Je m'étonne que par un effet d'abyme assez ironique, vous fassiez preuve d'un tel mépris. Je ne sache pas que les hères qui ont le malheur de n'être pas d'accord avec vous soient tous passibles de railleries et de menaces. Ai-je prétendu que vous étiez un horrible nazi ou la réincarnation d'un croisement entre Staline et Ben Laden? Ai-je laissé planer des insinuations malveillantes sur votre vie privée ou sentimentale? Me suis-je moqué de vous physiquement ? Ai-je tenté de vous intimider ? Certainement pas. Je ne fais que profiter de la liberté de ton que permet Internet et qui dérange. C'est bien dommage que la diffamation soit votre seule réponse. Les rétorsions judiciaires ne sont pas pertinentes dans le cas de ma démarche. Au lieu d'agir comme éléments de clarification, elles vont dans le sens de la censure. Quant aux erreurs que j'ai commises, je suis tout à fait disposé à les corriger et à les publier, ce que l'écrit permet, contrairement au flot de la télévision. Il suffit juste que vous daigniez les pointer du doigt. Le fait que je vous ai envoyé cette note et que vous disposiez d'un site Internet m'avait laissé croire que les libertés d'information et d'expression étaient accrues par l'outil Internet et que vous acceptiez les augures de la contestation sur les bases de la réponse argumentée - non de la menace tacite. Peut-être suis-je un imbécile ou un pauvre type; certainement pas un homme de mauvaise foi. Le dialogue pèse plus lourd que la condamnation.
Bien à vous."

Les adieux odieux de Raufer contiennent le postulat récurrent des nantis de la modernité : à le lire, tout son flair se situe dans ses narines!

"Pour en finir.
Je ne vous méprise pas. Un professeur ne méprise personne – sinon, il change de métier.
Mais ayant derrière moi vingt ans d’enseignement supérieur, des milliers d’examens oraux et écrits, des dizaines de thèses et de mémoires, je vous jauge - avec froideur et détachement comme il se doit en pareil cas - pour ce que vous êtes.
Les écrits révèlent bien le caractère des gens. Ils révèlent de vous un être vaniteux et susceptible, pas très doué, capable de pomper à droite et à gauche des données non vérifiées et ensuite de les présenter en un charabia qu’il croit savant.
Bref, ça vaut 4 sur 20.
Je dialogue avec plaisir avec les étudiants brillants et cela m’enrichit beaucoup.
Mais vous, pas envie et pas le temps. Adieu, XR"

vendredi 6 juillet 2007

Seul l'espace peut nous sauver

« Le nouveau monde des Temps modernes a son propre fondement historial en cela et là même où toute histoire, tout événement, a son fondement essentiel : dans la métaphysique. » (Nietzsche II).

« La métaphysique en tant que métaphysique, est l'authentique nihilisme. […] Pense-t-elle l'Être même ? Jamais. Elle pense l'étant eu égard à l'Être. » (Nietzsche II).


La ruche universitaire ne cesse depuis l'après-guerre de fourmiller avec passion et bourdonnement autour de l'affaire Heidegger. Heidegger fut-il nazi? Selon les uns, oui, à tel point qu'il faudrait interdire sa pensée nauséabonde (parti des censeurs). Pour les autres, l'engagement correspondit à une erreur de jeunesse passagère et une parenthèse qu'il serait temps de refermer (parti des dénégateurs, je n'ose dire des négationnistes). Il est plus probable que Heidegger fut le grand ontologue qu'on connaît couplé à un homme profondément marqué par les options nazies de l'avant-guerre. Après tout, la coexistence au sein du même homme de la grandeur et de la monstruosité n'a rien d'étonnant. Il semblerait qu'on puisse être philosophe de valeur et détraqué sexuel. Dans ce cas... Dans le cas de Heidegger, il serait fallacieux d'ignorer l'engagement nazi et les doutes sur sa persistance d'un revers de main, comme si l'accident ne méritait pas considération en regard des profondeurs ontologiques énoncées. Je crains fort que cette hypothèse n'annonce le choix d'un chemin qui ne mène nulle part. Car la critique qu'opère Heidegger de la technique, sa vision de l'Etre et des étants suppose une profonde aversion envers le libéralisme et le capitalisme. La réaction nazie intervient ainsi en plein essor de l'Amérique libérale et n'est pas sans lien avec le communisme. Dans les deux cas, il s'agit d'échapper à la consommation et à la réduction de l'homme et du réel à des étants ravalés au statut d'objets. S'il est certain que Heidegger commit une faute irréparable en optant pour l'alternative nazie (comme Sartre, lecteur assidu d'Etre et Temps durant son périple allemand, entacha sa personne en soutenant contre vents et marées l'idéologie communiste sous toutes ses formes), la profondeur de jugement qu'on lui reconnaît sur l'Etre explique cet engagement extrémiste et destructeur par la vision claire et lucide de la fin rapide et terrible qui attendait l'homme s'il s'engageait dans l'option libérale. Heidegger, en bon lecteur de Nietzsche, avait vu le dernier homme, le nihilisme débilitant et l'ultralibéralisme de pacotille. Dans l'esprit du jeune Heidegger, seul le recours à la violence pouvait empêcher l'humanité, en rupture de monothéisme, de supporter le fardeau qui l'attendait. Et de ce point de vue, il est difficile de donner tort à Heidegger. Le philosophe fut monstrueux comme les islamistes conséquents qui s'engagent dans le fanatisme musulman en considérant avec justesse la dérive du monde occidental. De ce point de vue, c'est la prudence qui doit guider nos pas : car de ces multiples exemples, il résulte que l'opposition au système dominant accouche le plus souvent de la violence et de la folie. Le seul moyen d'échapper à cet inquiétant travers consiste encore à bâtir le futur système dominant. La spatialisation vaut mieux que la mondialisation.

Bave et résidu

Pour comprendre les funestes événements qui obscurcissent la marche du monde vers la soi-disant liberté, en fait le totalitarisme travesti en mondialisation de la démocratie et du libéralisme, il suffit d'écouter le grand ponte Nicolas Baverez, qui est pompeusement baptisé déclinologue par certains cercles et certains cénacles injustement affiliés à Montaigne (injustement, pour Montaigne s'entend). Après les criminologues et les politologues, dans le catalogue, désormais, il faudra adjoindre : déclinologue. Qu'est-ce qu'un déclinologue? Un crack bardé de diplômes, qui vous explique, en gros, que tout ce qui n'est pas du côté de l'ultralibéralisme penche du côté du déclin. A propos de déclin et de penchant, je m'aperçois que l'image de la tour de Pise serait assez pertinente pour illustrer l'équilibre précaire qu'assure l'ultralibéralisme et la chute assurée qu'il prome(u)t. Sauf peut-être que le résultat se déroulerait à plus court terme pour l'idéologie économique qui prétend succéder au bipolarisme et triompher du communisme... Dans un entretien du 7 octobre 2003 accordé à 20 Minutes, Baverez explique (sérieusement) : «Le temps libre, c’est le versant catastrophe sociale. Car autant il est apprécié pour aller dans le Lubéron, autant, pour les couches les plus modestes, le temps libre, c’est l’alcoolisme, le développement de la violence, la délinquance, des faits malheureusement prouvés par des études.» Egarement passager dû à la fatigue et aux dossiers (bref, au mode de vie que prône l'ultralibéralisme et qui repose sur le surmenage)? Qu'on en juge cette fois-ci avec un extrait tiré d'une époustouflante intervention sur France Culture (20/09/03) : " Le temps libéré par les 35 heures, c’est de la violence conjugale et de l’alcoolisme en plus. " Il faudrait commencer par expliquer que cette morgue et cette arrogance, dignes de la pensée ultralibérale, sont intellectuellement fort choquantes. Choquantes, mais logiques : il n'est pas surprenant que cet avocat, essayiste économique de tendance ultralibérale, énarque (promotion 1988), normalien (de la rue d'Ulm), docteur en histoire et agrégé de sciences sociales (excusez du peu!) travaille du côté du système qui lui a procuré cette myriade de diplômes. Aujourd'hui, l'intellectuel coopté par le système exprime l'impulsion dominante du système, soit l'ultralibéralisme (avec ses versions conservatrice et progressiste : Baverez et Minc), soit le totalitarisme élitiste et étriqué, soit l'exploitation à très court terme de l'humanité par une poignée de profiteurs et pour une poignée de dollars. Il serait peut-être temps d'arrêter d'accorder la valeur intellectuelle au pedigree scolaire. Car l'on constate que la rue d'Ulm, pour un Bergson génial, a accouché de centaines de singes savants et de perroquets babillants, dont Baverez est un avatar aussi réussi qu'éclatant. L'avantage avec ce genre d'énergumène, qui se prend pour le mime d'Aron, soit la dégénérescence intellectuelle d'Aron (sans qu'Aron soit Platon), c'est qu'ils indiquent invariablement le sens de la vérité. Il suffit presque de les prendre au mot, mais dans la direction inverse. Baverez est ultralibéral? C'est qu'il faut être spatial. Baverez défend l'abrogation des trente-cinq heures pour mieux renier les acquis sociaux européens et engager l'humanité dans la surenchère du travail (travestie en libération, comme de juste)? C'est que le travail progressiste du siècle à venir consistera précisément à penser la réduction du travail comme pensée politique. A l'heure où les progrès techniques éclatants assurent à l'homme les moyens de réduire son labeur et sa peine, la hausse du chômage indique assez que certaines élites égocentriques et ignares ont détourné le progrès à leur seul profit et pour leurs sales profits. Où le temps de travail aurait dû diminuer, c'est le chômage qui a augmenté! Assez logique quand on connaît la rivalité mimétique qui agite la nature humaine, mais totalement contre-productif si l'on prend la peine d'étudier où se situent les intérêts de l'humanité. L'apparition de la technique moderne appelle la diminution du travail. La gauche défendra le progrès véritable, non en servant une soupe démagogique contre l'ultralibéralisme, mais en axant son programme autour et à partir des vingt heures hebdomadaires. Non seulement l'objectif se révèle viable, mais, à l'inverse de la surenchère ultralibérale injustifiée, il assure la pérennité de l'humanité. Qui s'établit dans la conquête de l'espace et non dans la rivalité mondialisée...

jeudi 5 juillet 2007

C'est la foire, Gabriel!

Je lis plusieurs articles de Matzneff, dont l'un adressé à Catherine Nay et l'autre intitulé C'est la gloire, Pierre-François!, tous rassemblés dans son recueil éponyme et parus récemment. A chaque fois, l'argumentaire de Matzneff consiste à invoquer la calomnie et le malentendu pour se dédouaner des horribles accusations qui pèsent sur sa personne (bien plus que sur ses écrits). Peut-on être un grand écrivain et un pédophile? Certainement. Le cas de Heidegger, sympathisant nazi prononcé durant (au moins) une certaine partie de son existence, ferait jurisprudence au vingtième siècle. Là n'est pas le débat. A écouter l'ange Gabriel, ce seraient les dévots et les moralisateurs des ligues de vertu qui caricatureraient ses propos et le feraient passer pour un horrible pédophile et un proche parent des grands criminels sexuels, à l'instar de Dutroux. Matzneff ne serait qu'un libertin incompris, qui n'a torturé personne, encore moins tué quiconque. De surcroît, il aurait arrêté sa vie de débauche en 1986. Il faudrait savoir : soit Matzneff a arrêté, soit il n'a jamais commencé! D'autre part, on peut être pédophile endurci sans verser dans la torture et le meurtre. Surtout, la défense de Matzneff est typique du déni pervers : elle revient toujours à invoquer la différence comme la vérité insaisissable et inclassable, la marginalité sulfureuse et injuste. Ainsi, Matzneff taxe-t-il un juriste et d'autres procureurs de lyncheurs au motif qu'ils l'accusent de pédophilie dans l'émission défunte Apostrophe. A en croire Matzneff, et on est tout prêt à le croire, jamais il n'a tenu les propos incriminés dans ladite émission. Le problème demeure pourtant entier et inchangé : car si Matzneff n'a jamais proféré de tels propos à Apostrophe, du moins les a-t-il consignés dans les Moins de seize ans. Si bien que la bonne foi avec laquelle Matzneff s'insurge contre les mauvais procès incessants qui lui seraient intentés exprime-t-elle l'acmé de la mauvaise foi, pour invoquer sans cesse un ailleurs introuvable qui coïnciderait avec la vérité. Je n'ai jamais affirmé que je ne suis pas pédophile à Apostrophe, donc je suis innocent, clame Matzneff. Que nenni, l'artiste : ne l'as-tu pas cependant claironné, avec des justifications abominables à l'appui, dans ton célèbre et sulfureux ouvrage? Sans cesse, la ligne de défense de Matzneff oscille et évolue, comme une armée de mercenaires non conventionnelle, si bien qu'au final, à lire Matzneff, on se persuade que la vérité n'existe pas plus que la licorne et que seule la manière de la défendre importe. Tout ce qu'on reprochera à Matzneff sera faux; le vrai est ailleurs, slogan bien connu, qui permet de différer à jamais l'établissement de la vérité (au moins celle des faits). C'est d'ailleurs ce que sous-entend Matzneff lorsqu'il se réfugie derrière la qualité du style pour jauger de son oeuvre artistique. Je crois que le style a bon dos. On voit mal où se situe la qualité d'un diariste qui livre, avec un style certain , son apologie du libertinage avec midinettes de seize ans pour le défilé. Matzneff veut-il qu'on le juge sur ce journal intime avec objectivité et sans moralisme? C'est fait : ennuyeux et digne de la médiocrité d'une certaine classe et de l'époque.

Les racines de la liberté

Revel passe son temps, à longueur de pages, à expliquer le goût de l'asservissement et du totalitarisme chez l'homme. Pour le libéral Revel (libéral assez confus, puisqu'on ne sait pas bien chez cet académicien s'il descend du libéralisme classique ou s'il se réclame de l'ultralibéralisme), il est incompréhensible que la prégnance du totalitarisme soit si insistante au sein de la nature humaine. Le paradoxe s'explique aisément : s'il ne comprend pas, c'est que Revel est un libéral. La tentation du totalitarisme chez l'homme s'explique par son goût immodéré de la liberté, tant il est vrai que les mots peuvent tout signifier, tout et - leur contraire. Liberté peut ainsi être entendu autant comme le droit de disposer du maximum d'indépendance (sans attenter à celle d'autrui) que comme le droit de faire ce que bon vous semble. Dans le second cas, qui exprime une aspiration très forte de la nature humaine, la liberté se rapporte au totalitarisme. C'est au nom de la liberté que le totalitarisme s'impose. C'est au nom de l'expression de la puissance et le visage masqué que le totalitarisme avance avec autant de succès. L'exemple le plus éclatant? L'ultralibéralisme actuel, qui a la bonne foi (pour une fois) de décliner son nom, n'est rien d'autre que l'apologie de la liberté extrême. Et qu'est-ce que la liberté chauffée à blanc?

Dichotomie

Plus on en dit, moins on en fait. Cette sentence populaire, reconnue comme pertinente et valide d'ordinaire, je vois mal pourquoi elle ne s'appliquerait pas à la prose de Matzneff. Selon ce jugement, Matzneff en dit tellement que la dichotomie entre ses faits et ses prétentions mérite (au moins) d'être évoquée. Soit Matzneff est un mythomane plus ou moins conscient, qui exagère la qualité et la fréquence frontale de ses galipettes pour se donner de la consistance, soit Matzneff est un pervers qui transforme dans le discours la violence en bienfait. Quand je lis Matzneff, je men sens tout petit et complexe : quel héros que cet homme qui bande sans discontinuer des heures durant et qui fait l'amour à la commande! Rocco Siffredi fait écrivain, il faut que Damne Nature ait été généreuse en atouts et atours ! On sait que l'exagération de la virilité (réduite aux performances sexuelles, ce qui en dit long des préjugés qui agitent certains milieux) n'est pas seulement la marque d'une puérilité attachante : elle permet aux hommes de transcender leur fragilité constitutive, même si transcender rime avec transgresser. Les rumeurs sur les maîtresses incessantes de Mitterrand à la fin de son existence laissent songeur : comment un vieillard durement touché par le cancer généralisé, qui plus est attaqué à la prostate, disposerait des moyens physiques et psychologiques pour collectionner les maîtresses et les ébats sexuels? L'absence de réalisme laisse songeur. Là n'est pas le pire : si l'on prête l'oreille à la polysémie de la sentence, l'on entend rapidement que l'absence d'action, ou sa faiblesse, s'entend aussi qualitativement : moins on en fait - c'est-à-dire moins ce qu'on tente est imprégné de valeur. Dans ce sens, l'érotomanie n'est pas une libération, ou l'accession à une sphère supérieure et meilleure - enviable, quoi. C'est une redoutable maladie psychiatrique, dont certaines stars fortunées essaient de perdre l'habitude destructrice. La nymphomane est couramment moquée comme une personne chez qui le consentement s'est confondu avec la violence. La qualité de la sexualité ne se jauge heureusement pas à la fréquence des pulsions, sans quoi le maniaque sexuel irrépressible serait considéré comme un crack. Un peu de nuance et de finesse! Au passage, on notera que chacun mesure combien le consentement est concept inopérant dans le cas de la nymphomane. Les objections sur le consentement de Catherine Millet, qui a narré ses expériences roboratives dans La Vie sexuelle de Catherine M., écoulé à 2,5 millions d'exemplaires selon Wikipédia, sont éclatantes. Si la réalisation du fantasme fait vendre, comme un interdit qu'on est bien heureux de voir effectuer par d'autres, les bobos gogos qui estiment qu'ils se hissent au-dessus du commun en transgressant, chacun sait vite combien la lecture de Millet fut un pensum, sitôt la trentième page écoulée. Millet prise dans toutes les positions contre un buisson du bois de Boulogne, par une multitude de partenaires anonymes, il est vrai que la réalité n'a rien d'excitant pour le plus grand nombre, si l'on fait abstraction de quelques énergumènes qui cherchent dans l'extrémisme un plaisir qu'ils ne sont pas près/prêts de trouver... La répétition lasse et c'est en quoi l'on peut parler d'échec de la modernité.