jeudi 17 mai 2007

Ce soir ou jamais?

Episode 7.

Katsuni recommande le film Destricted de Noé, dans lequel elle a tourné, au motif qu'"il y a vraiment quelque chose de réel" (à la différence du porno, sous-entendu). L'argument est fascinant, trouble, grotesque et terrifiant. Peu de temps auparavant, Katsuni avait lancé les premières banderilles en expliquant que dans le film de Noé, sa supposée liberté permettait aux spectateurs de contempler des acteurs faisant l'amour et non des hardeurs s'adonnant à de la performance (sous-entendu : irréelle). On remarquera pour commencer à quel point Katsuni avoue à l'insu de son plein gré le caractère ultralibéral du pornographique. On s'étonnera surtout que Katsuni considère qu'un jeu d'acteur, dans une scène fictive, porté par un film au cinéma, puisse ressortir du réel. Qu'un film soit réaliste, avec toutes les nuances que ce mot comporte, passe. Qu'il soit le réel, voilà tout simplement qui est monstrueux. Effectivement, toute création participe d'une certaine manière du réel. La fiction se compose de morceaux réels comme la licorne de parties animales. Cependant, il est très différent de prétendre que la fiction s'ancre dans le réel et que le but de la fiction est de remplacer le réel. Je dirais pour ma part que la grande, la haute, la féconde fiction accouche de représentations qui fournissent un regard inattendu et original sur ce réel dont nous faisons tous l'expérience ban(c)ale et stéréotypée. Je pourrais en appeler à l'hyperréalisme pour montrer que le mouvement pictural et esthétique qui prétendit reproduire à l'identique et l'unisson le réel ne parvient à ses fins que dans la mesure où il amorce des distorsions et des déformations dans le tableau qu'il reproduit fidèlement. La fin de l'art n'est pas de détrôner le réel; c'est d'en renouveler l'humaine représentation. Si l'art prétendait supplanter le réel, on serait paradoxalement en mesure d'annoncer sa fin prochaine, dans un sens évidemment apocalyptique (la fin de l'art annonçant la fin de l'homme et d'un certain monde). La tendance qu'illustre Katsuni n'est pas seulement radicale : prétendre qu'une scène est de qualité parce qu'elle serait réelle, c'est travestir l'art en marchandisation, ce qu'indique l'étymologie de pornographie (représentation de la prostituée). Supputer (et je m'excuse de la consonance malheureuse de ce terme) qu'une scène d'amour puisse évoquer l'acte de faire l'amour, catleya pour les proustiens, c'est offrir des chrysanthèmes à l'être aimé. N'en jetons plus! Katsuni incarne cette fronde ontologique qui voudrait condamner le réel au nom des difficultés d'accès au dit réel que l'homme présente. Incapable d'appréhender le réel autrement que sous la forme floue du fantasme, l'homme par la bouche de Katsuni se révolte - et évoque la révolte contemporaine : puisque le réel est insaisissable, alors je prétendrai que le fantasme l'a remplacé en tout bien, tout honneur - et avec usure. Acmé de la perversion que ce discours impeccable, en somme : faire passer le fantasme pour ce qu'il ne saurait précisément être, sous peine de mourir. Mais c'est aussi l'effet que cherche (quémande?) la grande prêtresse Katsuni, lorsqu'elle déclare que le film est réel : la mort, la terrible mort, l'expiation du désir par la réalisation du fantasme, avec cette idée que le réel, dans ce cas précis, évoque l'impossible néant.

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