dimanche 20 mai 2007

Ce soir ou jamais?

Episode 10.

Frédéric Joignot : "Au fond, on est tous, un peu, les prostitués les uns des autres." Joignot entendait répondre aux réserves émises par Cespédès quant à la marchandisation inhérente à la démarche pornographique. Il rappelle que l'étymologie de pornographie renvoie à la représentation de la prostituée. Définition embarrassante, en ce qu'elle lève le voile sur les racines de la pornographie, mais aussi celles de la prostitution. Serait-ce que les deux activités soient plus liées qu'elles ne souhaitent le laisser entendre et qu'un regard lucide porté sur leurs valeurs renseigne plus utilement sur l'air du temps que de longues tentatives de réduction phénoménologique? Revenons à Joignot. Qu'entend-il par pornographie? Qu'une femme soit au service d'un homme. Joignot nous pardonnera-t-il de l'informer que cette définition de la prostituée est étriquée et fort stéréotypée et qu'elle ne prend pas en compte les cas courants de prostitution masculine et (ou) homosexuelle? Que nos esprits libérés s'avèrent pudibonds et conformistes quand on leur sonde les reins (car je doute qu'il soit souhaitable de sonder l'airain de leur pensée)! En tout cas, Joignot ne se tire pas d'affaire par une pirouette (ce serait le moins qu'on puisse dire). Il s'empresse, telle une autruche obnubilée par la fuite en avant, de plonger la tête dans le sac et de proclamer qu'il n'est pas responsable de l'ordre des choses. Autrement dit, ce n'est pas sa faute si tout le monde est au service de tout le monde - si chacun est l'objet de son suivant. Il me souvient de la remarque désabusée d'un ami sur le cours de la vie (professionnelle, notamment) : "On est tous les putes de quelqu'un". Je suis désolé de ne pas souscrire à cette vision moins fataliste et pessimiste qu'enfantine, mais il serait inopérant de confondre l'ordre de l'époque et celui universel. Il est d'ailleurs peu probable que cet ordre se trouve jamais, à moins de croire en la vérité, l'objectivité et autres approximations sublimes. Toujours est-il qu'en considérant que l'homme se réduit à un objet, la pornographie renvoie un regard kaléidoscopique précis et accablant sur l'époque. La société de consommation est celle de la réduction des êtres à des objets. Sans doute faudrait-il imputer des raisons décisives pour expliquer ce choix désarmant : en gros, la seule définition du réel que la modernité ait trouvée à proposer s'est résumée à celle de l'objet, soit aux limites du fini. Cette définition est monstrueuse en ce qu'elle occulte le réel qui aurait le malheur de ne pas correspondre à cette approximation. Joignot est bien l'archétype fidèle à l'esprit de son temps : ce journaliste émérite, pionner de l'aventure de Libération, Actuel ou Le Monde 2, doit sans doute se vouloir libertaire, subversif, destructeur de préjugés et d'idoles inutiles, alors qu'il ne fait que conforter l'idéologie dominante (qu'au surplus, dans un aveuglement cruel et ironique, il croit combattre).

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