lundi 21 mai 2007

Ce soir ou jamais?

Episode 12.

Joignot avait prétendu deux phrases auparavant qu'il était impossible et peu conseillé de juger l'acte sexuel. Il se réclame désormais du philosophe Ruwen Ogien, sans doute pour se donner une caution plus prestigieuse que celle pornographique. Ruwen Ogien fonde une éthique minimum à la Stuart Mill et constate, selon Joignot, que la pornographie est digne d'intérêt en ce qu'elle nous oblige à considérer le rapport comme allant de soi à soi. Sans avoir jamais lu de première main cet Ogien, je me trouve en accord avec sa constatation : effectivement, la pornographie se trouve nier, de manière remarquable, le principe de l'échange, qui consiste en premier lieu à reconnaître l'altérité. Il faut entendre jusqu'à ses conséquences les plus extrêmes cette proposition : la pornographie nie le principe d'échange et de reconnaissance de l'altérité, et, ajouterais-je sans forcer le trait, du réel. Symptôme psychotique, qui revient à n'intégrer l'extériorité du réel que dans la mesure où l'on en tire un rapport de domination, de destruction et de réduction à ses plaisirs pervers, purement narcissiques et aveugles. Le refus de l'échange mène au totalitarisme le plus virulent, comme le principe de la pornographie aboutit à la généralisation du gonzo, du gang bang, et, en filigrane, même si l'effectivité demeure douteuse et fort marginale, au snuff movie. Effectivement, Joignot a raison d'inférer l'absence de morale dans la pornographie du refus du principe d'altérité : dans ce système, la morale n'est pas possible, sans qu'il soit nécessaire de réduire la morale au moralisme. Au contraire, c'est le principe d'éthique dans sa démarche, ou l'idée que la morale se résume à une convention aristotélicienne, qui est rendu caduc. Ne pas juger signifie en fait la réhabilitation du bon vieux : tout est permis, ce qui revient à signer un blanc-seing aux pires abominations.
Avec ce prisme déformant comme miroir caricatural de la réalité, il devient possible de ne plus apercevoir la contrainte en oeuvre dans la pornographie et le fait que la pornographie mérite un jugement. Refuser ce regard critique revient à valider et avaliser le totalitarisme ou à lui préserver une niche dans le domaine de la sexualité, dont on conviendra que, si elle arrange les puissants, elle fait payer un prix particulièrement lourd et odieux aux plus démunis.

J'en profite pour glisser, en forme de codicille, comme dirait le grand Brassens, une remarque sur l'éthique minimale telle que semble la prône Ruwen Ogien. Du peu que j'en sache, l'extension du libéralisme politique à des domaines qui ne sont pas politiques est une aberration, dont le vice n'est pas seulement philosophique. Ce projet porte un nom en vogue: c'est l'ultralibéralisme. Et quand on constate la destruction à laquelle ce système idéologique renvoie, on ne peut que demeurer interdit devant la frénésie avec laquelle les tenants du libertarisme gauchiste accourent en pionniers de l'avant-garde pour en défendre le principe au nom de la liberté mal comprise.

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