mercredi 2 mai 2007

Lettre à Michel Polac

Monsieur,

Jusqu'alors, je connaissais de vous votre réputation flatteuse d'animateur du Droit de réponse, émission phare des années quatre vingts. J'avais nettement moins applaudi aux goûts esthétiques discutables que vous livrez dans Franchise postale, mais peu importe. Je jugeais par ailleurs admirable de porter à la connaissance du public un philosophe que j'apprécie particulièrement, Clément Rosset.
Un jour, je tombai sur votre Journal et parcourus par curiosité quelques passages. Je le trouvai peu intéressant et mal écrit. Raison pour laquelle je suis toujours sceptique quand je vous entends critiquer le style ou les idées des invités de Ruquier, avec la générosité et l'avidité du voleur en position de dénonciateur. Le vieil apologue de la paille et de la poutre devient celui de la poutre et de la paille : tant il est vrai que les vedettes qui servent de garanties médiatiques à la publication de best-sellers lucratifs se trouvent dénigrées par quelqu'un dont les prétentions à l'écriture (je n'ai pas dit la lecture!) se révèlent cruelles.
Passons, en outre, sur le fait que je n'avais pas apprécié du tout le traitement que vous aviez infligé à l'inénarrable Doc Gynéco. Vous aviez participé avec un acharnement inquiétant au lynchage d'un rappeur inintéressant, dont la faute impardonnable (pour un rappeur) consistait à avoir revendiqué son amitié avec le plus berlusconien de nos bonapartistes. Il avait fait nettement pire auparavant, mais alors toutes les girouettes louaient la qualité de ses chansons lamentables et de ses pitreries cathodiques. Serait-ce qu'un Noir est libre de débiter toutes les sornettes - tant qu'il rappe ?
Laissons là les discriminations sélectives de la démocratie en lambeaux. J'en viens au passage télévisé du samedi 28 avril que je découvre sur Dailymotion. Dans l'émission de Ruquier, qui a remplacé avec usure les dérives d'Ardisson, vous entendez régler votre compte à l'animatrice Daniela Lumbroso, non sur la biographie de Dolto qu'elle commet (dans tous les sens du terme), et dont on se moque avec bonheur, mais à propos du traitement indigne qu'elle vous aurait infligé et qui vous aurait affligé.
Quelle est l'affaire qui a empêché Michel Polac de dormir une nuit durant? Grave injustice! Lumbroso s'est trouvée choquée par un passage où vous narrez trois relations homosexuelles de votre vie, avec cette particularité qu'elles intervinrent en compagnie de jeunes personnes ou durant votre jeune âge. En particulier, vous revenez sur votre relation avec un garçon de onze ans, sur les fesses duquel vous éjaculâtes dans un moment d'égarement.
Bien. Je m'étais trouvé tout à fait mal à l'aise à la lecture de votre Journal, tant il est évident que cette scène ressortit de pratiques pédophiles indiscutables. Ne vous en déplaise. Quelles que soient les arguties que vous déployez pour nier l'évidence, le fait de contracter un acte sexuel (même sans pénétration) avec un garçon ne saurait appartenir à une autre catégorie. Le répéter relèverait du dédoublement fantasmatique, dont vous n'ignorez rien du fonctionnement mental pour avoir lu l'oeuvre de Rosset.
Vous objecterez sans doute que dans certains milieux de l'Elite, s'adonner par erreur à la pédophilie est faute bien vénielle, voire survivance de la noblesse hellène, surtout quand on connaît (ou non) la liste des puissants de ce monde qui se livrent avec usure à cette perversion (et à bien d'autres). Venons-en aux faits, puisqu'il en est de certains comme d'autres fréquentations, dont on aimerait se passer et fausser la compagnie répugnante.
Il est inacceptable que vous évoquiez cet épisode infâme et abject pour n'en retenir que les attaques postérieures de Lumbroso. Peut-être votre sortie est-elle encore pire que la faute initiale (est-ce possible?). Comme si le manque de respect à votre égard importait plus que des pratiques qui détruisent profondément l'identité des victimes destructurées!
Revenons à l'essentiel, monsieur Polac : le fait est que vous avez trouvé normal, à un moment de votre vie, de défaillir (ah, le Divin Marquis!) sur la croupe d'un orphelin, sans doute léger handicapé mental, sans prendre conscience de la violence et de la gravité qu'un tel acte impliquait. Je sais bien que tout homme peut tuer, mais il est d'autant moins acceptable que vous vous entêtiez dans des positions malhonnêtes (intellectuellement j'entends) au nom de l'adage de la fontaine. En l'occurrence, l'eau n'est pas seulement frelatée. Elle recèle le poison mortifère de la mort qui ne passe pas.
J'aurais pu à la rigueur comprendre que vous vous livriez, dans cette émission de spectacle malsain, où le lynchage attire l'audience et le scandale, à un repentir sincère sur cet épisode de votre vie. Il aurait été concevable qu'un homme accède à la violence extrême contenue dans son acte et à la destruction que subissait un enfant victime de pédophilie (en général).
La perversion s'accompagne d'une telle faculté (et fatuité) de déni que c'est l'inverse qui s'est produit. Dans de pareilles circonstances, je me fous de savoir si Lumbroso est une nunuche ou si son livre est un navet. La corruption des people et des élites malpensantes est telle que personne n'a jugé opportun d'arrêter le cours de billevesées affriolantes pour rappeler que la dignité prévalait sur l'obscénité la plus révoltante.
Alors je passerai sur la supériorité dont vous vous parez en participant à l'humiliation de boucs émissaires de surcroît consentants, pour les besoins de leurs intérêts pécuniaires, et je vous témoignerai de ma profonde peine. Monsieur Polac, toute erreur, toute faute, même la plus grave, mérite pardon, à condition toutefois que son auteur accède à la repentance. Et que vous n'invoquiez pas Nietzsche pour prétendre que le remords est indécent. Car le remords intervient précisément pour bloquer le mécanisme de la repentance, soit le fait d'affronter la violence dont on est l'auteur et qui participe, parfois, d'abominations sordides. Je remarquerai en passant qu'auctor renvoie à la garantie et que vos jérémiades sont la pire insulte à l'innocence bafouée dont Dostoïevski percevait l'existence par-delà la souffrance.
Pour finir, je vous conseillerai, s'il vous reste un peu d'honneur et d'humanité, de ne plus participer à ces modernes avatars de rites sacrificiels très anciens, dont l'évolution humaine a voulu qu'ils passent de l'effectivité physique à la réduplication symbolique. Cet acte de résistance au système sera le signe que l'esprit critique est chose malaisée à cerner puisqu'il se manifeste dans la personne qui, par ailleurs, en manque le plus cruellement. J'avoue que l'existence de telles dérives me laisse bien pessimiste quant au spectacle navrant de la nature humaine et que je ne trouve rien de plus acceptable pour évoquer la beauté du monde que de citer le grand Dostoïevski : "Évitez aussi la répugnance envers les autres et vous-même : ce qui vous semble mauvais en vous est purifié par cela seul que vous l’avez remarqué. Évitez aussi la crainte, bien qu’elle soit seulement la conséquence de tout mensonge."


Je joins à cette missive l'extrait incriminé du Journal de Polac :

« Oui, j’ai vécu cela à 14 ans avec I. J’ai défailli comme on disait au XVIIIe siècle, rien qu’en frôlant son ventre nu avec mon ventre. (...) De même avec un autre I. à 28 ans, il avait 18 ans environ, mais ce fut moins foudroyant car je l’avais pris pour un tapin : et enfin à 40 ans, avec ce curieux gamin un peu bizarre, sauvage, farouche, un rien demeuré, fils de paysan, orphelin peut-être, qui devait avoir 10, 11 ans, peut-être moins, et qui m’a si étrangement provoqué jusqu’à se coucher nu dans ma chambre d’hôtel en me racontant une obscure histoire de relation sexuelle avec un homme de son entourage et je me suis rapproché de lui, et il était nu sur le côté, et j’ai seulement baissé mon pantalon et ai collé mon ventre contre son cul, et j’ai déchargé aussitôt, en une seconde, dans un éblouissement terrible, et il a eu un petit rire surpris comme s’il s’attendait à ce que je le pénètre, il paraissait si expérimenté, si précocement instruit, tout en ignorant ce que cela signifiait, tout en étant capable de préciser ce qu’il savait ou voulait. »

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