vendredi 22 juin 2007

Epopée de la Puissance Onirique

Episode 13.

Le sport business n'est pas sans l'appoint de la télévision, qui le magnifie au point de ne faire apparaître que sa puissance et sa perfection. Par le truchement de la télévision, la démesure inscrite dans le projet du sport apparaîtrait presque comme l'effet de la grâce et du dépassement. Cette manière de vanter le passage du réel à l'hyperréel implique que le sport ou la pornographie soit supérieurs au réel lui-même. Derrière le projet de représenter le réel le plus fidèlement possible se tapit la trahison suprême : affirmer la supériorité de la représentation, soit de la reconstitution du réel selon les desiderata de l'homme, sur le réel lui-même. Raison pour laquelle les sportifs, tout comme les acteurs pornos, jouissent d'une telle aura, que leurs mérites objectifs n'expliquent pas vraiment. Car de se montrer virtuose dans l'art de faire trembler les filets ou les paniers n'incline pas à l'éloge immodéré, pas plus que de forniquer à longueur de bandes (filmiques s'entend). Pourtant, Maradona ou la Cicciolina ont recueilli (et recueillent toujours) une dévotion bien supérieure à celle dont pourrait se targuer un homme politique, un professeur ou un boulanger, professions pourtant plus exigeantes et qualitativement supérieures. Sans doute la réduction du réel aux bornes du sensible retrouve son projet initial dans les règles des jeux sportifs ou pornographiques, pourvu qu'ils se prêtent à l'exercice des médias. Toujours est-il que je vois mal une autre déformation que celles des valeurs dominantes pour expliquer qu'un Zidane récolte plus d'admiration pour sa science de l'avant-dernière passe qu'un bon pédagogue pour sa science de l'apprentissage. J'imagine avec réticence à l'heure actuelle un professeur acclamé à la sortie de son cours par des hordes de groupies hystériques tandis qu'il peine à se frayer un chemin parmi la foule compacte, protégé par ses gardes du corps du harcèlement des journalistes et de leurs caméras. Le fan(atique) se rend-il compte que son admiration inconditionnelle du champion sportif ressortit du refus du devenir? Le fait de prétendre à remplacer les lois du réel par celles de la représentation, le fait donc de substituer au reél la surreprésentation, n'indique jamais que la haine du changement et de l'imperfection parmi les imperfections - celle qui incline à la mort et la maladie. Refuser le devenir, c'est prôner le même comme idéal. Tel le métaphysicien vu par Nietzsche, ce Parménide implorant n'importe quelle bouée à laquelle se raccrocher, le sportif de haut niveau est cet être qui baigne dans un monde qui n'évolue pas : monde de la gloire et des paillettes dans lequel les règles du jeu demeurent à jamais identiques. Monde dont l'accession garantit le Paradis et les Champs Elysées pourvu que l'idéal corresponde à cette absence de changement et à cette maîtrise du réel par l'homme (en gros, à la maîtrise du temps comme caractéristique significative du devenir et des imperfection qui condamnent l'homme, je le répète, à la vieillesse). L'hyperréel est ce réel expurgé des données qui n'ont pas l'heure d'agréer à la créature humaine. Monde de la facticité et de l'impossible en somme, dont on ne sait que trop le prix à payer. Il ne concerne pas seulement les pauvres hères qui ont eu le malheur de jouer le jeu, de s'en approcher de trop près et de s'y brûler les ailes, bien qu'ils prétendent encore, au moment où ils fondent presque et se consument, qu'ils sont heureux et ne regrettent rien. C'est l'ensemble de la société qui se trouve en effet impliquée par ce refus du devenir et cette attention morbide à l'abstraction approximative du même. Car, de même que le sportif est promis à la déchéance pour avoir goûté à la gloire, la société qui nie le reél est promise à la disparition. Les règles du reél sont claires : le devenir est la vie; le même est la - mort.

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