mardi 12 juin 2007

Epopée de la Puissance Onirique

Episode 5.

Définition moderne du Bonheur : il tient dans le dépassement des capacités physiques. A l'opposé de l'antique mesure, qui enjoint à l'homme de connaître ses limites, comme de se connaître soi-même, le sport professionnel permet les exploits surnaturels dans la mesure où le surnaturel abrège le naturel. D'une manière très logique, le surpassement performatif s'obtient par le raccourcissement de la longévité. Syndrome de notre époque, qui joue au-dessus de ses moyens au prix du péril de sa disparition inévitable. La tromperie vient du caractère inaccessible de l'attente : le surpassement physique ne permet nullement d'accéder à la sphère transcendante promise. Le propre du physique est de se dérouler dans le monde du fini, au point d'en incarner la fine pointe. Le culte du physique et de la performance se cantonne à la finitude et n'accouche jamais que de la surenchère quantitative (au lieu du qualificatif promis). A l'instar du toxicomane obligé d'augmenter les doses pour maintenir l'effet de son ivresse, le sportif est le reflet caricatural et outrancier de l'homme moderne : il se dépasse par des performances de plus en plus épuisantes. Le Bonheur s'obtient au prix de la destruction. Si encore bonheur il y avait! Le propre du plaisir est, comme son monde l'indique, d'être fini (de n'avoir rien d'absolu ni de transcendant). La propagande moderne aimerait à nous faire croire qu'elle est parvenue à cerner le Saint Graal, le moyen de changer le plaisir, jusqu'à tutoyer les cîmes de l'ivresse éternelle. Peine perdue! L'objectif, tout comme la vérité, n'est pas de ce monde. La surenchère performative est aussi déceptive. Tout comme la pornographie ne délivre aucun plaisir substantiel, sauf l'illusion de ce plaisir, la performance sportive n'engendre que l'illusion du résultat. Au final, si le sportif va plus vite, plus haut, plus fort, cette surenchère effective ne lui est d'aucun salut : tant il est vrai qu'il n'a accédé à aucun idéal en vendant son corps au diable, mais n'a fait que tester la loi de l'infiniment grand et de l'infiniment petit : quel que soit le dépassement physique auquel il se livre, ce dernier est tragiquement appelé à demeurer dans le royaume du fini (qu'on soit champion du monde de football ou anonyme joueur de troisième division anglaise, on n'en demeure pas moins homme). L'homme pensait par le dépassement atteindre enfin à l'absolu? La cruelle désillusion de la modernité ne tient pas seulement dans le tragique constat de son échec d'amélioration ontologique. Le Graal n'était jamais qu'un pitoyable subterfuge et l'homme est demeuré prisonnier des rets de ce monde qu'il voulait fuir pour prix de son Bonheur. Las! Il y est retourné avec usure et devra au surplus s'acquitter de l'addition (salée) : si le dépassement et la surenchère n'ont rapporté que quelques sueurs roides, ce ne fut pas sans destruction. Le Bonheur et l'Idéal sont à ce prix...

Aucun commentaire: