jeudi 28 juin 2007

Les malheurs de Béatrice

Aveux étonnants de Béatrice Dalle, actrice bien connue pour ses rôles extrêmes. A l'écouter répéter plusieurs fois que le cinéma n'est pas le réel, que ce n'est que du cinéma, caricaturale dans son rôle (réel) de rebelle racaille, agressive dans sa réputation de subversive oblige, quasi masculine pour approcher du psychopathe supputé, Dalle, qui parie déjà sur son statut d'icône, commence par expliquer qu'au cinéma tout est possible. Dalle est la grande prêtresse du trash. Touchez pas au grisbi, de peur qu'elle vous - mange. Selon Dalle, au cinéma, tout est permis, tout peut être montré. Définition du totalitarisme travesti en liberté? Définition du fantasme de la liberté comme incarnation de la toute-puissance singulière? Pas certain que l'art s'y retrouve! Dalle compare le cinéma à l'écriture (ou à d'autres arts). Que Dalle n'en soit pas à une incohérence près, peu importe : elle prétend dans la foulée n'être pas marionnette de fiction quand elle joue. Il faudrait savoir! Dalle ou pas? Passons. A l'écouter, les seuls esprits à croire le contraire seraient les faibles, selon qui les scènes au cinéma sont susceptibles d'être prises au premier degré (et engendrer quelques réelles tragédies). Ainsi Sade est-il innocent(é) pour n'avoir jamais oeuvré que dans la littérature. On objectera à Dalle, au risque de heurter son sens de l'évidence, que le cinéma n'obéit pas au même fonctionnement créatif que la littérature (d'ailleurs, Dalle commence par invoquer la musique, avant de se rétracter). La création littéraire convoque un univers purement fictif et virtuel, au sens où, s'il est inspiré de faits indubitables, recomposés entre eux, à la manière de la licorne, il se différencie absolument du réel par sa virtualité. Le cinéma crée un univers interlope, où le personnage tient à la fois du sensible et du virtuel. Qu'on le veuille ou non, le sensible n'est pas le seul réel - le virtuel est aussi réel. A la différence de la littérature, qui oeuvre dans le pur monde du virtuel, et n'engage jamais de personnages physiques, le cinéma se joue dans l'entre-deux. La revendication de Dalle est donc fausse : non, le cinéma n'est pas un art comme la littérature. Qu'elle le veuille ou non, le cinéma participe autant du sensible que du virtuel. Il est une représentation dans le premier sens du terme. Sans doute les Anciens ne voyaient-ils pas le théâtre et les comédiens d'un mauvais oeil pour rien. L'implication sensible que suppose le théâtre atteint inévitablement l'acteur réel et ne s'arrête certainement pas à son personnage. S'il n'est pas facile d'interpréter le rôle d'un meurtrier, encore est-il certain que l'acteur qui joue ce rôle n'est pas, lui, meurtrier. On peut faire semblant de tuer, comme on peut feindre l'amour et la totalité des actions, avec les progrès induits par la technologie et les trucages. Sans doute les truchements sont-ils autorisés. Pour des scènes trop dures ou trop osées, les interprètes sont souvent doublés par des cascadeurs ou des mimes consentants. Mais ceux-ci vivent ces scènes, si bien que le problème se trouve seulement déplacé. Rien à faire, rien à dire : le propre du cinéma (et de la représentation artistique) est de convoquer le réel au rendez-vous du virtuel. La fiction ne compose pas seulement avec le réel. Il arrive qu'elle l'intègre. Je pense à ces scènes pornographiques, qui sont à la limite du cinéma d'invention, et où les acteurs réalisent bel et bien leurs compositions. Si le meurtrier au cinéma ne tue pas, si de nombreuses scènes de sexe sont mimées, le propre de l'acteur porno est d'effectuer ces scènes, comme le propre supposé du snuff movie est de mettre à mort la victime à la fin de son fictif rituel macabre. Là se situe le caractère contestable des propos de Dalle (et la limite du cinéma comme art virtuel) : quand un des personnages de Dalle est nue, Dalle aussi est nue. Ce qui dans le cas particulier n'implique pas de traumatisme majeur (après tout, la nudité n'est jamais que notre condition première) peut s'avérer autrement plus pernicieux à mesure qu'on bascule dans l'hyperréel. Nombre d'acteurs porno regrettent ainsi dans leur chair leurs exploits passés pour ne pouvoir les imputer à l'étoffe étrangère de leurs rôles de composition. Le mensonge de l'hyperréel consiste à occulter la prégnance et l'omniprésence du réel. A trop laisser entendre que le réel est remplacé par son avatar transcendant, ou que le réel est dépassé par l'hyperréel, la modernité propage le mensonge selon lequel certains faits seraient étrangers au monde du réel. Malheureusement, ce souhait est trompeur. Le réel, tel une citadelle, est une place-forte imprenable et indépassable. L'antique jugement porté sur les acteurs et l'art de la représentation n'est pas à entendre autrement : menteur!

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