mercredi 4 juillet 2007

L'âtre du néant

Hugo Marsan, du Monde des Livres (17 août 2001) recense ainsi la parution du journal intime de Matzneff Les Soleils révolus, couvrant la période 79-82 : "On ne veut pas admettre qu'il est, parmi nous, un être du futur où les femmes iraient jusqu'au bout de leurs fantasmes et déchireraient les voiles dont on les recouvre pour mieux les asservir." Marsan a-t-il été téléguidé par quelque puissante main pour écrire de pareilles stupidités? Toujours cette tentation d'assimiler la liberté au totalitarisme, qui d'ailleurs transparaît clairement dans l'intention programmatique prêtées à Matzneff (aller au bout de ses fantasmes) et qui ne laisse pas d'inquiéter, en cas de réalisation, sur l'avènement totalitaire du futur. Le nouveau totalitarisme sera-t-il celui de la liberté? En attendant ces sombres augures, dont l'ultralibéralisme est certainement l'une des prémisses, ce Journal me tombe des mains. Il excite peut-être la concupiscence d'un Sollers, mais il est navrant de constater qu'est considéré comme écrivain majeur et artiste un individu qui consigne sa vie sexuelle et quelques commentaires adjacents et dont l'élégance surannée aimerait cacher la profondeur marginale. Désolé, je n'ai pas lu les romans de Matzneff, ni ses poèmes, et peut-être tout son génie réside-t-il dans ces genres littéraires, mais, avouons-le de go, ce Journal est un naufrage complet... Ce qui me frappe le plus? L'auteur décrit au fil des pages ses ébats avec la douzaine de jeunes femmes qui peuplent son lit en continu et qui défilent dans sa chambre de quadragénaire érotomane, avec, pour seule condition, qu'elles approchent au plus près des seize ans (mais Matzneff accepte aussi d'honorer les jeunes femmes de vingt ans). On l'aura compris, notre homme est un admirateur de Casanova (qui pense avoir dépassé la maître?) et son but est de retranscrire son oisiveté sexuelle pendant quatre ans. A ce régime, une semaine, c'est long, alors quatre ans! La répétition et la monotonie sont les grandes caractéristiques d'un tel projet de vie (et d'écriture). Un tel symptôme ne peut manquer d'interpeler. C'est celui de l'Hyperréel. Remplacer le réel par le fantasme et abolir la différence par la répétition. En voici l'illustration éclatante : sous prétexte d'atteindre aux cîmes du Plaisir, notre hédoniste chevronné vit dans le Même le plus monocorde. L'impression est plus évidente que dans Si le grain ne meurt de son ancêtre Gide (Matzneff est moins bon que Gide) : le monde du pervers est celui de la répétition à outrance. L'enfer serait cette existence d'éternel retour du même, d'abolition de l'originalité, d'événements toujours identiques et prévisibles, jusqu'à supprimer l'originalité et le sel de la vie. Au passage, à cette disparition de l'autre dans tous les sens du terme (l'autre est aussi dénié pour ne laisser place qu'au je et au jeu morbide) s'ajoute l'hypertrophie du moi et, probablement, le culte de la performance sexuelle comme héroïsme moderne (projet très cohérent dans l'univers de l'Hyperréel) : si l'on en croit son témoignage, très précis et détaillé, Matzneff couche plusieurs fois et plusieurs heures par jour; il est un merveilleux amant, un expert de la jouissance, un héros de la luxure, auquel nulle jeune femme ne résiste; sa beauté n'égale que son élégance de dandy désinvolte; il est plus intelligent, plus fin, plus artiste que les autres; il est au-dessus des contingences matérielles et passe le plus clair de son temps entre la piscine Deligny (tiens, tiens...) et son lit; le reste du monde n'existe qu'en fonction de ses obsessions; ses conquêtes sont toujours splendides; ce sont les jeunes femmes qui le pourchassent de leurs faveurs, tandis qu'il serait la victime éternelle, en particulier du conformisme social ambiant. Seul regret : Matzneff, qui se targue de tant de sincérité quand il nous narre par le menu (que c'est ennuyeux!) ses prouesses érotiques, se montre d'une discrétion remarquable sur ses agissements à Manille, terre de villégiature répétée. Y joue-t-il aux cartes ou renouvelle-t-il l'inspiration qui lui permit d'accoucher de son chef-d'oeuvre ultime, Les Moins de seize ans? Nous ne trancherons pas cette fois sur la sincérité de Matzneff. Il nous suffira de constater que son univers est proche de celui de la pornographie, avec sans doute le désir d'instiller une connotation moins brute de décoffrage et plus artiste. Ah! le porn'art! La vie en rose est la représentation de la perversion... Celle du néant aussi. En tout cas, elle révèle un projet esthétique qui ne peut que manquer de dire le réel. Manquer l'art? Dare-dare!

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