dimanche 8 juillet 2007

Chute...

Curieuse manière, chez Raufer, de prétendre qu'il ne méprise personne, lui, le professeur, alors que c'est précisément le penchant auquel il est en train de se livrer. Curieuse et - incurable manie. Impayable arrogance que de livrer des jugements qui n'appellent jamais, une fois de plus, que le mécanisme de la projection. C'est pourtant l'un des tics psychologiques de tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, ressortissent de l'élite démocratique, en particulier quand cette élite se situe dans la sphère intellectuelle. Pour prouver votre intelligence, faites preuve d'arrogance. La démocratie effective patientera. Tel pourrait être le slogan des frustrés qui nourrissent le besoin de se sentir au-dessus des autres pour cultiver leur appétit de domination stérile. Cette propension, qui est loin de n'être que le cas de Raufer (que je juge ici sur son apparition télévisuelle et ses réponses présentes, cependant remarquablement cohérentes dans leur ton et leur unité), est inquiétante pour la démocratie. Au-delà de sa portée psychologique, qui révèle le vide de ceux se sentant obligés de compenser par l'apparence de la certitude, c'est la portée manipulatrice qui livre le diagnostic de la modernité. On se rappellera chez Molière la peinture de ces aristocrates et savants inconséquents prétendant déduire leur statut social d'introuvables fondements identitaires. Je préfère encore Dom Juan à Dorante. Plus de franchise et moins d'imposture. Non seulement Molière avait vu juste, mais j'ai bien peur que la période trouble que nous vivons avive les penchants au camouflage. Le règne des spécialistes pourrait se heurter à la sagesse de Montaigne, rappelant à quel point il se défie finalement des savants. Nos savants contemporains ne sont nullement indépendants de la mentalité de l'époque. Tout au contraire en reprennent-ils les postulats l'air de rien, comme si rien ne s'était passé. Les conclusions logiques auxquelles ils se livrent par la suite sont d'autant plus accidentelles et brillantes qu'elles ont le mérite d'occulter l'essentiel. Quel est cet essentiel travesti et tu? C'est que la modernité obéit au mécanisme de la réduction ontologique pour affirmer haut et fort qu'elle est parvenue à la vérité. L'apologie ethnocentrique de la rationalité joue ce rôle à merveille. Dans tous les cas, l'Hyperréel élude le réel au profit du désir et du monde de l'homme. C'est seulement ce que j'ai voulu rappeler en constatant que le parcours, les idées et les méthodes de Raufer se revendiquaient d'autant plus du réel, de l'objectivité, des faits, de la vérité, de la science criminologique que la démarche était celle d'un spécialiste occultant le problème du dialogue, du jugement, de la critique et de l'évaluation (bref, de la vraie pensée). Qu'on le veuille ou non, le savoir ne remplace pas la pensée - fantasme dérisoire et démesuré de la modernité scientiste (dont le scientisme consiste à se revendiquer postmoderne ou relativiste). Sur le point de l'ultralibéralisme et de l'idéologie des néoconservateurs, qui comporte de multiples différenciations, il est fascinant de constater :
1) qu'elle allie le fantasme de la liberté débridée, donc totalitaire, avec la revendication sécuritaire. Ce paradoxe apparent n'en est pas un, puisque la liberté de tout faire ressortit de la violence et rejoint les attentes d'ordre, de force et de mépris de la pauvreté (le pauvre est culpabilisé comme un looser quasi empreint de péché originel).
2) que l'ultralibéralisme mondialisé, qui prend des visages assez différents, suivant qu'il opère en territoire anglo-saxon ou en terre contestataire, comme c'est la cas de la France, est en contradiction manifeste avec le libéralisme classique, sur un point majeur au moins : le libéralisme prétendait régenter la sphère du politique économique et n'être qu'une philosophie pragmatique à portée limitée; l'ultralibéralisme étend les propositions du libéralisme à l'ensemble des activités humaines, si bien qu'il en vient à opérer par la force insidieuse le mécanisme de la réduction.
3) le fait que nombre d'anciens militants de groupuscules d'extrême-droite et d'intellectuels de l'extrême-droite se soient recasés, suite à des parcours brillants, complexes et fort dissemblables, avec une constante remarquable, dans l'entourage de Sarkozy, laisse songeur : non que Sarkozy soit tributaire des coutumières insultes portées contre l'extrême-droite, mais qu'il ne soit jamais que le pion français d'une stratégie internationale où la force avance masquée derrière les prérogatives de la liberté et de la démocratie. Il n'y a pas que les faucons américains pour instiller le soupçon d'une manipulation de la démocratie à des fins totalitaires. Malheureusement, l'ultralibéralisme possède ses entrées et ses ramifications au sein de la gauche et du progressisme déclarés. Si bien que le seul moyen d'interroger les véritables conceptions politiques des acteurs du champ politique revient encore à sonder leur définition de la liberté. Dis-moi comment tu es libre et je te dirai qui tu es.
4) dans le cas du criminologue Raufer, il m'apparaissait insupportable qu'un spécialiste, au nom des faits, assène des postulats aussi contestables sur l'homme et la politique, comme si, en somme, l'émergence de la violence gratuite chez les 16-18 ans ne répondait pas à la violence ultralibérale. En outre, il m'apparaissait intéressant que l'ultralibéralisme français (soit un nécessaire composé de libéralisme progressiste, de force, de sécurité) intègre en matière de justice et de criminalité des raisonnements qui mettent en avant la part du donné irréfragable, comme si le seul moyen de le traiter revenait à user de la force. La métaphore des fauves est assez éclatante pour n'appeler point d'autres arguments.
5) Cette curieuse propension qu'ont les élites d'évaluer avec aigreur les contestations (quelle aberration que d'estimer que la rédaction d'une note non scolaire puisse équivaloir à un 4/20!; mais aussi quelle naïveté, comme si tout se réduisait à la production académique et au jugement formaté d'un professeur, aussi brillant fût-il) montre assez que le savoir prétend remplacer le jugement dans le principe de sa richesse même : l'absence de pensée prétend réduire l'effort de réflexion à sa propre démarche de formatage. Si bien que l'estimation par le savoir académique est nécessairement biaisée et toujours motivée par la compensation, voire la vengeance. Son but camoufle l'essentiel : il obéit à des impératifs d'objectivité, d'impartialité qui recèlent toujours la réduction du réel à ses bornes étriquées. L'académisme d'aujourd'hui est le chantre de l'Hyperréel. Comme héraut de l'intelligence, on est en droit d'attendre de plus féconds mythes...

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