jeudi 5 juillet 2007

C'est la foire, Gabriel!

Je lis plusieurs articles de Matzneff, dont l'un adressé à Catherine Nay et l'autre intitulé C'est la gloire, Pierre-François!, tous rassemblés dans son recueil éponyme et parus récemment. A chaque fois, l'argumentaire de Matzneff consiste à invoquer la calomnie et le malentendu pour se dédouaner des horribles accusations qui pèsent sur sa personne (bien plus que sur ses écrits). Peut-on être un grand écrivain et un pédophile? Certainement. Le cas de Heidegger, sympathisant nazi prononcé durant (au moins) une certaine partie de son existence, ferait jurisprudence au vingtième siècle. Là n'est pas le débat. A écouter l'ange Gabriel, ce seraient les dévots et les moralisateurs des ligues de vertu qui caricatureraient ses propos et le feraient passer pour un horrible pédophile et un proche parent des grands criminels sexuels, à l'instar de Dutroux. Matzneff ne serait qu'un libertin incompris, qui n'a torturé personne, encore moins tué quiconque. De surcroît, il aurait arrêté sa vie de débauche en 1986. Il faudrait savoir : soit Matzneff a arrêté, soit il n'a jamais commencé! D'autre part, on peut être pédophile endurci sans verser dans la torture et le meurtre. Surtout, la défense de Matzneff est typique du déni pervers : elle revient toujours à invoquer la différence comme la vérité insaisissable et inclassable, la marginalité sulfureuse et injuste. Ainsi, Matzneff taxe-t-il un juriste et d'autres procureurs de lyncheurs au motif qu'ils l'accusent de pédophilie dans l'émission défunte Apostrophe. A en croire Matzneff, et on est tout prêt à le croire, jamais il n'a tenu les propos incriminés dans ladite émission. Le problème demeure pourtant entier et inchangé : car si Matzneff n'a jamais proféré de tels propos à Apostrophe, du moins les a-t-il consignés dans les Moins de seize ans. Si bien que la bonne foi avec laquelle Matzneff s'insurge contre les mauvais procès incessants qui lui seraient intentés exprime-t-elle l'acmé de la mauvaise foi, pour invoquer sans cesse un ailleurs introuvable qui coïnciderait avec la vérité. Je n'ai jamais affirmé que je ne suis pas pédophile à Apostrophe, donc je suis innocent, clame Matzneff. Que nenni, l'artiste : ne l'as-tu pas cependant claironné, avec des justifications abominables à l'appui, dans ton célèbre et sulfureux ouvrage? Sans cesse, la ligne de défense de Matzneff oscille et évolue, comme une armée de mercenaires non conventionnelle, si bien qu'au final, à lire Matzneff, on se persuade que la vérité n'existe pas plus que la licorne et que seule la manière de la défendre importe. Tout ce qu'on reprochera à Matzneff sera faux; le vrai est ailleurs, slogan bien connu, qui permet de différer à jamais l'établissement de la vérité (au moins celle des faits). C'est d'ailleurs ce que sous-entend Matzneff lorsqu'il se réfugie derrière la qualité du style pour jauger de son oeuvre artistique. Je crois que le style a bon dos. On voit mal où se situe la qualité d'un diariste qui livre, avec un style certain , son apologie du libertinage avec midinettes de seize ans pour le défilé. Matzneff veut-il qu'on le juge sur ce journal intime avec objectivité et sans moralisme? C'est fait : ennuyeux et digne de la médiocrité d'une certaine classe et de l'époque.

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